par EBP-BSP | Traces
La rencontre avec Didier Lestarquy et Hervé Linard, Diotima, 23 février 2013
On parlait ce samedi de Diotima de la psychose et de la fin de l’analyse. Les modèles que nous avons construits avec la névrose sont ils compatibles avec la psychose? Comment mettre en acte cette question, comment continuer l’analyse jusqu’à son terme sans pour autant refuser la psychose, selon la formule que me suggérait Christian Neys? Comment cette question abordée avec la psychose nous ferait penser aussi la fin de l’analyse dans la névrose, et sans doute dans d’autres situations cliniques? Cette question n’est elle pas spécifiquement humaine? En effet comment terminons-nous nos histoires d’amour? Comment terminons-nous quelque chose, l’enfance par exemple, un travail, un poème, un concerto, une toile?
Freek faisait remarquer que pour terminer, dans le sens commun, il faut être quelqu’un, quelque part, en un temps particulier. L’analyse, au sens d’un rapport régulier avec un psychanalyste, c’est ça: être quelque part, avec quelqu’un, un analyste, dans un temps qui a commencé et qui doit finir. Qui doit finir parce qu’il y a un impératif éthique, comme disait Léon Cassiers en son temps: on n’entre pas en analyse comme on rentre en religion, ou en amour; cela devrait finir, alors qu’en amour ça ne “doit” pas finir, en religion non plus. N’empêche que ça finit quand même. La différence, c’est qu’en analyse on aimerait pouvoir garder une maîtrise technique de la fin, sans en faire un drame.
Donc deux psychanalystes ont présenté des vignettes d’analyses qui n’en finissent pas. On a bien repéré l’attachement sans fin de type maternel, et l’insignifiance du père, du nom du père, comme disait un psychanalyste parisien dont on ne prononça pas le nom. Insignifiance. Cela fait penser que la question est peut être aussi celle là: comment faire de la fin de l’analyse une signifiance, un acte signifiant?
Ces questions sans fin nous les connaissons, et des dispositifs sociaux ont bien tenté de les mettre en œuvre, en acte, en mouvement, en incitation: en finir avec la Mère? Tu quitteras ton père et ta mère! En finir avec l’école, finir une journée, une nuit, une année, etc… Ça n’a sans doute pas le même sens pour tout le monde. Avec des personnes handicapées mentales c’est tout un problème de finir une analyse, ou une psychothérapie; c’est d’ailleurs aussi une question difficile pour eux de quitter une institution, d’aller dans une autre, de changer de milieu. Avec des personnes prises dans les cycles maniaco-dépressifs, finir une analyse c’est tout autre chose. Ça revient sans cesse, jusqu’au jour où on constate que ça ne revient plus.
Viendront-ils nous voir jusqu’à la mort de l’un ou de l’autre? On n’oserait pas leur dire d’arrêter. Bien sûr ça n’est pas analytique de dire à quelqu’un d’arrêter son analyse, mais on peut quand même mettre cette question au travail d’analyse, même en acte, pourquoi pas?
En psychodrame le dispositif prévoit, à chaque fin de jeu de convier le protagoniste à finir son jeu. “Comment allez vous finir ce jeu?” Ce n’est pas la fin du monde, ni la fin de la séance, mais quand même c’est une fin qu’il doit agir, s’il peut. La scansion se fait aussi quand les séances prévues avec ce groupe sont terminées. On peut toujours recommencer avec un autre groupe.
Mauricio a amené la vignette d’un homme qui voulait sans cesse programmer son mariage avec son amie. Mais c’était sans cesse reporté. Par ailleurs il peignait et avait cessé de délirer. Les soignants insistèrent pour qu’il se décide à réaliser son projet de mariage. On fixa la date. Il se remit à délirer, et en peinture il préparait ses pinceaux, ses couleurs et sa toile, et tenait son pinceau à un centimètre de la toile, sans pouvoir tracer quoi que ce soit. Comme si quelque chose devait rester, à l’infini, comme un projet impossible à réaliser. Un fantasme irréalisable.
J’ai pensé que cette image de la main tendue vers la toile sans la toucher jamais, était comme la métaphore des patients dont on venait de nous parler, qui jamais ne pouvaient d’eux mêmes quitter l’analyse et l’analyste.
Bernard Robinson