Ariane Bazan: Des fantômes dans la voix (2007)

résumé par Ph. Cattiez

« DES FANTÔMES DANS LA VOIX » par Ariane BAZAN.

Une hypothèse neuropsychanalytique sur la structure de l’inconscient.

(Liber, Montréal, 2007, réédition en 2013).

Lecture et résumé, par Philippe CATTIEZ, psychiatre (Service Santé Mentale à l’UCL)

Title (English):

« Phantoms in the Voice- A neuropsychoanalytic hypothesis on the structure of the unconscious”

Mots-clefs (français):

neuropsychanalyse; inconscient; Freud; Lacan; Jeannerod ; Deacon ; signifiant; langage; fantôme; copie d’efférence; sensorimoteur; représentation; intérieur/extérieur; philosophie transcendantale; psychose; corps; ambiguïté; processus primaires et secondaires; action; inhibition

Key words (English):

neuropsychoanalysis; unconscious; Freud; Lacan ; Jeannerod ; Deacon ; signifier; language;  phantom; efference copy; sensorimotor; representation; interior/exterior transcendental philosophy; psychosis; body; ambiguity; primary and secondary processes; action; inhibition

Résumé (français)

Ce travail dans le domaine de la « neuropsychanalyse » propose une spéculation théorique sur la structure physiologique de l’inconscient en recoupant les observations expérimentales et cliniques des deux cadres. L’écoute clinique indique une insistance de phonèmes récurrents dans ce qui fait conflit, appelés phonèmes fantômes. Tel un membre fantôme, le signifiant refoulé est investi d’une intention mais son articulation est bloquée. Or, du fait de la structure ambiguë du langage, un même mouvement d’articulation peut radicalement changer de signification. C’est ce mécanisme qui donne lieu au retour du refoulé dans le signifiant et permet la survie de fantômes phonémiques qui tisseraient la structure linguistique de l’inconscient. Cette question du signifiant est présentée en écho à la question de l’émergence du psychique en réponse à la contrainte de l’organisme de faire la distinction entre intérieur et extérieur. Pour cette distinction, il faut supposer l’existence d’un système d’inhibition ciblé puisqu’il doit faire ressortir précisément ce qui dans la façon d’appréhender le monde extérieur n’a pas été anticipé. Cette précision est offerte par le modèle sensorimoteur des copies d’efférence. Pour l’humain la nécessité de la distinction intérieur-extérieur est impérieuse du fait précisément du langage qui rend complexe l’identification du lieu d’où ça parle. Elle mène au mouvement de refoulement, qui par inhibition fait apparaitre les fantômes phonémiques. Cette réflexion théorique est précédée d’une mise en contexte élaborée dans l’histoire et l’épistémologie parfois controversée de la neuropsychanalyse et revendique pour sa méthodologie une approche transcendantale.

Abstract (English):

This study in the domain of « neuropsychoanalysis » proposes a theoretical speculation on the physiological structure of the psychoanalytic unconscious by cross-checking the experimental and clinical observations from both domains. Clinical listening indicates the insistence of recurring phonemes when it comes to conflictual topics, called “phonemic phantoms”. Indeed, as is the case in a phantom limb, the repressed signifier is invested by an intention while its articulation is blocked. However, due to the ambiguous structure of language, a same articulation movement can radically change signification. It is this mechanism that causes the return of the repressed in the signifier and allows for the survival of phonemic phantoms which are thought to weave the linguistic structure of the unconscious. The question of the signifier is presented as an instantiation of a more fundamental question, the emergence of the psychic realm in response to the constraint of the organism to distinguish interior from exterior. For this distinction, the existence of an accurate system of inhibition must be postulated since it has to be able to delineate precisely what in the way of apprehending the world was not anticipated by the organism. This precision is allowed by the sensorimotor model of efference copies, which presentifies the movement before its realisation and shows how inhibition is a condition for representation. For humans, the necessity of the interior-exterior distinction is imperious due to language which renders complex the identification of the locus from where speech is initiated (from where “it” speaks). This necessity leads to the movement of repression, which by inhibition induces phonemic phantoms in the form of negative representations of repressed speech. This work is preceded by an introduction which contextualises the theoretical reflexion in the sometimes controversial history and epistemology of neuropsychoanalysis and which claims a transcendental approach for its methodology.

Sigmund Freud doit se retourner de plaisir dans sa tombe ! S’il est parfois difficile pour les freudiens, même les plus aguerris, de comprendre sa théorie et certains de ses ouvrages, Ariane Bazan nous apporte certainement un éclairage nouveau et « up-dated » de l’œuvre de Freud grâce à l’apport de la neurophysiologie, car le développement des neurosciences nous fournit jour après jour des éléments de plus en plus congruents avec les intuitions plus que centenaires de l’illustre psychanalyste viennois.

De surcroît, grâce à sa culture scientifique dépassant de loin le périmètre francophone, elle nous apprend comment certains auteurs contemporains, pour la plupart anglo-saxons, mais bien d’autres encore, confirment également les théories lacaniennes, ceci vraisemblablement sans avoir jamais lu l’œuvre de Jacques Lacan. La bibliographie est impressionnante.

Ariane Bazan est docteur en biologie et docteur en psychologie ; elle est professeur de psychologie clinique à l’Université Libre de Bruxelles.

Dans son ouvrage « des fantômes dans la voix », elle réalise une synthèse des plus accomplies et élaborées qui soient actuellement entre la neurophysiologie et la psychanalyse.
Elle démontre à quel point le génie de Freud était de se révéler comme visionnaire exceptionnel, car les théories métapsychologiques qu’il a développées à son époque se voient aujourd’hui confirmées par les technologies médicales les plus récentes et modernes.

Bien qu’écrit en français, son livre nous ouvre également vers des références internationales qui dépassent le monde des auteurs francophones dans lequel nous restons trop confinés.

Résumer ce livre est une tentative laborieuse et frustrante, même si certains s’y s’ont déjà risqués avec plus ou moins de succès, tant il est riche et dense ; disons-le franchement, il faut le lire et le relire pour percevoir les matches probables entre la psychanalyse et le cerveau, bien que Ariane Bazan réfute tout simplisme consistant à réduire la pensée humaine à une localisation anatomique ou à un circuit physiologique.

Cet ouvrage continue un débat ne faisant que commencer depuis ce début de millénaire (Kandel, prix Nobel en 2000 ; Ansermet & Magistretti ; et bien d’autres) ; la rigueur de cet essai confirme magistralement que le dialogue est enfin réellement possible entre deux disciplines jugées irréductibles au siècle passé, il y a quelques années encore.

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Ch1 : L’affect et le signifiant

Selon Freud, pour contrer les pensées insupportables, il existe une défense qui provoque une division de la conscience par laquelle contenu déclaratif et valence émotionnelle sont séparés et traités de façon parfaitement indépendante. Cette proposition résonne parfaitement avec les recherches neuroscientifiques de Joseph LeDoux qui démontrent que la partie scénique d’une expérience et sa valence émotionnelle suivent des processus dans des voies neurophysiologiques radicalement différentes, dès lors expérimentées séparément.

Chez Joseph LeDoux, chaque stimulus sensoriel atteint le thalamus au niveau duquel une bifurcation se présente avec des trajectoires différentes : l’une vers le cortex superficiel ou néocortex, et l’autre au niveau sous-cortical dans le système limbique.

La trajectoire limbique est affective. Elle est sous-corticale et phylogénétiquement ancienne et ontogénétiquement précoce car fonctionnelle dès avant la naissance. Le traitement de l’information est rapide. Une structure importante est l’amygdale qui analyse les stimuli ; après détection, elle se connecte à l’hypothalamus afin de produire une réaction comportementale et vocale adéquate ; elle interagit également avec l’hippocampe agissant comme interface lors de la mémorisation d’un niveau d’anxiété du stimulus perçu. Les effecteurs concernent essentiellement les muscles lisses involontaires. A noter que l’amygdale possède une mémoire émotionnelle mature avant la naissance, bien avant la mémoire sémantique du neocortex.

La trajectoire corticale traite les contenus scéniques et déclaratifs. Sa maturation néocorticale est ontogénétiquement tardive et ne s’achève qu’entre six et dix ans (voire trente ans). Le traitement de l’information est lent. Les effecteurs concernent essentiellement les muscles striés volontaires.

Pour LeDoux, il existe une relative autonomie entre valence affective et scénique.

Voilà pourquoi, une émotion stimule une certaine tension du corps, et un phonème ambigu peut mener à des « fausses connexions »

D’où la similarité entre ce concept physiologique d’une part, et d’autre part le « clivage de la conscience » de Freud. Ce « faux nouage » (falsche Verknüpfung, false connection) implique une division d’une « idée » entre d’une part son contenu idéel et d’autre part son affect ou somme d’excitation ; celle-ci est investie dans des innervations somatiques dans l’hystérie ou dans d’autres idées dans la névrose obsessionnelle

Au niveau sous-cortical, les stimuli linguistiques sont des stimuli comme les autres, agissant sur l’amygdale qui a un système de mémoire émotionnel en connexion avec l’hippocampe, même avant la naissance.

Il existe donc une mémoire émotionnelle « linguistique ».

Les premiers éléments constitutifs de ce système en maturation sont les mots holistiques et par extension les phrases holistiques.

Dans la mémoire linguistique émotionnelle, certaines séquences de phonèmes sont nouées à des niveaux particuliers d’activation émotionnelle.

Au niveau sous-cortical, le matériel linguistique n’est pas traité de manière sémantique, mais traité comme un objet, dans sa forme phonémique indépendante de la sémantique.

La phonologie des mots acquiert pour chaque individu une activation émotionnelle particulière.

Un phonème ambigu peut évoquer une tension même si le contexte sémantique est différent : il s’agit de « faux nouages ».

L’entrée linguistique serait désambiguïsée au niveau néocortical en fonction du contexte, alors qu’elle est sans effet au niveau sous-cortical où agit l’automaticité de l’affect.

Ch2 : Les matériaux de l’appareil psychique

Modèle linguistique de Freud :

Freud suppose que, physiologiquement, le mot est un objet comme un autre, constitué de composantes perceptuelles et motrices propres à sa forme, soit le « représentant d’objet » (Objektvorstellung), 

Mais selon lui, il y aurait également neurologiquement un lieu d’inscription des caractéristiques du mot, soit le « représentant du mot » (Wortvorstellung).

C’est par l’association de la représentation du mot avec la représentation de l’objet que le mot acquiert une signification, et procure au mot sa capacité de référence sémantique afin de fonctionner non seulement comme objet mais comme élément dans le système symbolique.

Or c’est ce couplage qui est mis en cause dans l’inconscient.

La division des séquences linguistiques ne suit pas nécessairement la limite des mots. P.ex : la merveille ou la mère veille. Le signifiant (Lacan) est un vecteur phonémique, càd une séquence de phonèmes formant ou non un mot ou une phrase.

La phonologie démontre que les phonèmes ne sont pas purement des catégoriels perceptuels mais aussi des catégories motrices : ce sont des gestes articulatoires plutôt que des classes de phones. Et l’auditeur ne cherche pas tant à recomposer la chaîne acoustique mais plutôt l’intention motrice articulatoire du locuteur. Les phonèmes ne sont pas des objets acoustiques mais des objets articulatoires.

Pour identifier la parole, l’auditeur doit mobiliser son propre système moteur. Ainsi l’identité du phonème est donnée par l’intention d’articulation du locuteur. Pour qu’un phone devienne un phonème, il faut un passage par l’action du corps de l’auditeur.

La conception perceptuelle est duelle : une entité acoustique tenant lieu d’objet.

La conception motrice implique une position tierce : la représentation se comprend comme le tenant lieu d’un objet pour quelqu’un.

L’idée qu’il faille un corps en mouvement pour accéder à une information est centrale chez Freud : «  … pensée cognitive ou jugement cherchent à s’identifier à un investissement somatique, … sur des expériences somatiques … des images motrices propres au sujet … ».

Freud parle également dans son Esquisse de « valeur imitative ». Un stimulus externe ne peut avoir de sens qu’en correspondance avec un mouvement émanant de son propre corps.

Ceci rejoint les théories des perceptions de Rizzolatti et Arbib : les neurones miroirs.

Et selon Damasio, l’idée d’un appel au corps en mouvement pour accéder à l’information ne vaut pas seulement pour la perception mais aussi pour l’affect. Il y a d’une part l’é-motion, càd un mouvement du corps très particulier, et d’autre part le ressenti de cette émotion.

Le langage peut activer la réarticulation d’une séquence de phonèmes ; celle-ci forme un objet linguistique traité en aval par deux trajectoires relativement autonomes.

Dans la première, sous-corticale, le traitement se fait à partir du matériel premier, sans désambiguïsation préalable, avec activation des systèmes neurovégétatifs.

Dans la seconde, au niveau des aires linguistiques néocorticales, le matériel est désambiguïsé en fonction du contexte et donne lieu à une compréhension sans équivoque.

Le court laps de temps entre le premier et le second mouvement est trop court pour qu’on prenne conscience de l’ambiguïté sémantique, mais suffisamment long pour provoquer une tension affective correspondant à une des lectures du fragment. Or si la tension affective est importante, le sujet sera tenté de renouer avec un vécu affectif provoqué dans un autre contexte, et un faux nouage est établi.

Ch3 : La structure dynamique du langage

On commence à voir que la structure de l’inconscient se joue au niveau des fragments phonologiques non encore désambiguïsés. Pour faire émerger la signification contextuelle d’un énoncé, il fait procéder à sa désambiguïsation ; et ce processus pourrait définir le champ opératoire de l’inconscient. La désambiguïsation est fonction du contexte

Deacon soutient que la spécificité du langage humain est organisée de façon symbolique, contrairement au « langage » des animaux qui fonctionne par index et icônes.

Une icône se caractérise par son indistinction : il y a toujours une identité de forme entre l’icône et l’objet auquel elle renvoie : le dessin d’une pomme ne représente que la pomme.

Un index n’a pas d’identité de forme mais fait référence avec l’objet qu’il représente : par exemple de manière métonymique (la fumée avec le feu, la trace avec l’animal) ; ou provient de l’apprentissage ou l’expérience : un cri représente du danger pour l’animal.


Le symbole est d’une toute autre nature : ici, l’interprétation dépend du contexte. Les symboles se représentent mutuellement. Il y a 3 niveaux :

1) la relation directe avec l’objet : le stimulus pomme réfère à l’objet pomme

2) la référence de symbole à symbole : manger requiert un objet pomme

3) mais au lieu de s’appuyer sur les objets, il y a un renversement : le sujet s’appuie sur la relation entre stimuli pour saisir l’objet : manger une « x » induit que ce « x » est un objet à manger, sans expérience ou connaissance de l’objet.

En dehors d’un contexte, le symbolique disparaît et on retombe dans le lexical.

Le symbolique n’est possible que dans une chaîne de symboles : telle est la spécificité du langage humain par rapport à celui de l’animal.

Ceci rejoint « l’instance de la lettre dans l’inconscient » de Lacan. Qui reprend Saussure.

Pour ce dernier, le signe est l’élément de base du langage : il est constitué d’un élément conceptuel : le « signifié », et d’une image acoustique : le « signifiant ». Pour Saussure, le lien entre signifié et signifiant est immuable ; alors que pour Lacan, celui-ci est instable : un signifiant peut signifier un nombre illimité de concepts selon différents contextes. C’est sa position dans une chaine des signifiants qui donne signification. C’est le signifiant qui découpe la réalité des objets et non pas l’inverse. Lacan inverse le diagramme de Saussure en pointant la primauté du signifiant sur le signifié, sans lien stable entre eux.

La détermination de sens a lieu à la fois au niveau pragmatique (contexte de son utilisation) que syntaxique (position dans la chaine langagière).

Mais il existe un troisième niveau de détermination pour le sens des signifiants : le niveau lexical. En effet, dans l’exemple du verbe « verser », ce verbe est un signifiant, qui appelle un autre signifiant « verser quelque chose », mais on connaît la nature de ce quelque chose qui sera du liquide.

Le niveau lexical a trait à l’acte de nommer et se situe dans le lobe baso-temporal de l’hémisphère gauche ; alors que le niveau sémantique concerne les caractéristiques expérientielles du monde des objets. Damasio a remarqué que, en cas de lésion focale temporale gauche, un patient souffre d’aphasie anomique. Par exemple, il ne sait plus nommer le mot banane, mais il pourra indiquer sa couleur jaune, on l’épluche pour la manger et on parlera de son goût. On peut retrouver plusieurs entités lexicales en fonction de localisations cérébrales : les noms de personnes, de fleurs, ou autres classes d’objets ; ou encore un même mot peut être compris comme substantif mais non plus comme verbe.

Camarazza propose un modèle linguistique qui suppose un niveau lexical organisé comme intermédiaire entre le système phonologique et le système sémantique.

Pour les classifications explicites, on observe une activation des aires BA37, alors que pour l’implicite, l’activation se situe en BA36 près de l’hippocampe pour la mémoire sémantique.

Ricci distingue un système de traitement de l’information dans le lobe temporal gauche et des réseaux sémantiques distribués bilatéralement.

Ce qui rejoint le modèle de Freud.

Le niveau lexical propre à l’emploi linguistique du mot se retrouve dans ce que Freud appelle « représentation de mot » constitué de l’image acoustique et le programme articulatoire, le mot en tant qu’objet en soi.

L’encodage sémantique expérientiel correspond à ce qu’il appelle « représentation de l’objet » où figure l’information relative à l’objet.


La métaphore explique le mieux la différence entre lexique et sémantique.

Lacan cite le vers de Victor Hugo : « sa gerbe n’était point avare ni haineuse ».

Isolée, la sémantique « gerbe » est dénouée de ses connexions lexicales préétablies.

Mais prise dans une position syntaxique, elle se replace dans une position lexicale et donne une signification, un sens nouveau.

Dans le mariage d’une sémantique et d’un nouvel ordre lexical, c’est toujours le lexical qui est aux commandes : il y a métaphore chaque fois qu’une sémantique se voit subordonnée à un ordre lexical qui n’est pas communément le sien.

Ch4 : La dynamique de la désambiguïsation

Reprenons les deux aspects du signifiant lacanien :

– l’aspect articulatoire, par mobilisation articulatoire du corps et d’un vaste réseau sémantique, mais à ce stade, la phonologie ne permet pas encore de désambiguïsation

– l’aspect lexical, produisant une signification unique dans un contexte ; et en résonnance avec l’information phonémique, le signifiant se désambiguïse.

Selon le linguiste Friederici, il faut moins de cent millisecondes pour l’analyse acoustique primaire suivie de l’identification des phonèmes dans le lobe temporal gauche, précisément dans les zones de Brodmann 42 et 44 (cette dernière étant l’aire de Broca). Durant ce laps de temps, il y a un flottement ambigu.

Après ces cent millisecondes, un mécanisme s’enclenche qui réduit toutes les significations contextuellement inappropriées jusqu’à les inhiber (références à des études sur des phrases comprenant des homographes ambigus). La signification est alors désambiguïsée.

A noter que c’est probablement un dysfonctionnement de cette inhibition que l’on retrouve dans les cas de dyslexie.

Cette inhibition opérant entre cent et deux cents millisecondes ne parvient pas au vécu conscient ; cette inhibition présente une certaine similitude avec le mécanisme de refoulement secondaire de Freud.

Et « dans l’instance de la lettre », Lacan donne cette définition du processus métaphorique : « un mot pour un autre ». Dans la chaîne discursive, un signifiant est remplacé par un autre, et le signifiant premier est refoulé (bien qu’il reste présent par sa connexion métonymique au reste de la chaîne). Un nouveau signifiant se glisse au-dessus et écrase un autre signifiant, créant ainsi une nouvelle signification (une bonne illustration se retrouve volontiers dans les blagues ou dans la poésie). Ceci constitue le refoulement secondaire.

Mais ce qui est refoulé n’est pas sans conséquences sur le vécu conscient et on assiste à ce que la psychanalyse appelle « le retour de refoulé ». Le refoulé originaire exerce une pression inhibitrice sur le mot et sa signification que l’on retrouve tant en psychanalyse qu’en psycholinguistique (oubli, confusion, retard de compréhension, etc …).

Pour Lacan, le refoulement n’est pas nécessairement pathologique, mais il agit comme principe d’organisation du langage humain. Le refoulement est structurel comme l’est l’inhibition des lectures ambiguës non appropriées en psycholinguistique. Il s’agit de mécanismes permettant un fonctionnement psychique normal, supportable au monde.

Mais le refoulement peut aussi être pathologique lorsqu’il sert à refouler l’insupportable.

Des deux hémisphères cérébraux, seul l’hémisphère gauche s’engage dans le traitement des mots ambigus, càd soumis à une sélection lexicale : il agit nettement mieux pour supprimer toute signification inappropriée ; il est « mythifiant ». L’hémisphère droit par contre assure le maintien de l’activation des significations tant dominantes que secondaires, et donc un large éventail de signification qui donnent accès à l’ambiguïté du langage, et de là, les métaphores, les blagues, le double sens, etc … ; il est « véridique ». Un équilibre est nécessaire entre les deux hémisphères, entre rationalisation et confusion.

L’hémisphère gauche a été discerné par Baddeley.

Un processeur central (matériel verbal et visuel) est situé dans le cortex dorsolatéral préfrontal (DLPFC ou BA9 et BA46) gauche. La boucle articulatoire comprend BA44 (Broca) et l’aire contiguë BA46.La répétition (mémoire de travail) est associée à l’aire de Broca et l’aire motrice supplémentaire (SMA). Il servirait à stocker le matériel sémantique.

Par contre, les aires BA45 et BA47 du cortex préfrontal inférieur gauche sont impliquées dans les opérations lexicales. Il orchestrerait les représentations sémantiques contextuellement appropriées. C’est à ce niveau que s’opère la sélection lexicale.

Enfin, le cortex dorsolatéral préfrontal (DLPFC) et le cortex cingulaire inhibent les significations discordantes au profit d’une sélection de significations concordantes.

Néanmoins l’appareil linguistique est structurellement capable de désambiguïser continuellement la chaîne sémantique en inhibant les significations inappropriées au niveau néocortical ; mais il ne parvient pas à inhiber les connotations affectives au niveau sous-cortical. Il s’agit alors d’un « faux-nouage » selon Freud, qui est psychopathologique.

Ch5 : Un modèle sensorimoteur des processus primaires et secondaires

Selon Freud, les processus primaires visent l’évacuation des excitations par les chemins les plus rapides et constituent le principe de plaisir.

Deux stimuli se distinguent : les stimuli externes desquels l’organisme peut s’échapper et les stimuli internes dépendant de l’intervention d’une action externe.

Les processus secondaires sont des processus mentaux qui produisent des actions adéquates pour réaliser des changements spécifiques dans le monde extérieur.

L’enfant humain est sans défense et dépendant du « Nebenmensch ».

L’acte adéquat, le sein de la mère à l’enfant qui a faim, provoque une expérience de satisfaction et organise des connectivités neuronales aboutissant à un frayage. Ces facilitations organisent l’appareil mental durant le développement appelé le moi (« ich »).

Si le sein ne se présente pas, le bébé l’hallucine et son absence peut provoquer un déplaisir et une défense. Si cette expérience néfaste se répète, les réactions de défense deviennent automatiques et se mettent à fonctionner au niveau du processus primaire.

Lors des expériences successives, un nouvelle organisation du moi interviendra et ralentira les processus primaires : le courant de la quantité (Qn) se divise dans des voies bien frayées, mais aussi opposées par l’action d’un neurone contigu.

Par conséquent, si un moi existe, il faut qu’il inhibe les processus psychiques primaires. Ainsi, il est possible d’inhiber les expériences de déplaisir, et le processus primaire ne se réalise pas.

Les processus secondaires rendent possibles un bon investissement du moi et une modération du processus primaire. Ils agissent sous la direction inhibitrice du moi. Cette inhibition permet d’éviter que les excitations suivent les routes les plus rapides mais leur permettent d’explorer d’autres voies recoupant la réalité extérieure (et non pas l’image désirée). Ils freinent les processus primaires et fonctionnent selon le principe de réalité.

Il faut distinguer les images de vœux et les images hostiles. En particulier si ces images ne proviennent pas du monde réel, mais ont une origine interne, il est important de bloquer l’accès des processus primaires aux voies d’expression. Pour que les processus secondaires fonctionnent, il faut un indice qui permette de distinguer une perception d’un souvenir.

Freud appelle neurone « phi » les neurones perceptuels et neurone « oméga » des neurones moteurs contigus aux premiers ; ces derniers atteignent le système « psy » (psychique) : l’information de décharge venant de oméga devient alors pour psy le signe de réalité. Telle est la théorie énactive de la perception (Helmhotz) : le percept ne provient pas de la réception passive mais se construit à partir de la motricité de l’acte de perception. Le neurone oméga induit les signes de réalité puisque, mobilisant le système moteur, ils apportent la distinction entre les images internes et perceptions externes. Seule l’image accompagnée d’une décharge oméga est considérée comme image de perception ; dans les autres cas, il s’agit d’imagination et souvenir. Mais il y a une exception : les images mentales activées massivement.

Par conséquent, c’est une inhibition due au moi qui rend possible la distinction entre perception et souvenir. Les processus secondaires atténuent donc les images de souvenir et l’action devient adéquate ; dans le cas inverse, les processus primaires sont massifs et les images de vœux ou hostiles sont activées de façon hallucinatoire.


Les copies d’efférence des neurosciences.

Toute commande motrice est accompagnée de deux sortes de retour sensoriel:

– un retour sensoriel réel (feedback – «phi-like»)

– un retour sensoriel prédit (feedforward – «oméga-like») : prédiction du mouvement que fera le muscle selon la commande et permet de calculer la position théorique après ce mouvement.

Il existe une comparaison entre la position réelle et la position calculée, et l’écart donne l’élan du mouvement qui reste à faire. Le calcul permet également de soustraire ce changement afin d’atténuer le retour sensoriel, et donc une économie des moyens attentionnels.

Les perceptions des mouvements propres sont atténuées de sorte que l’on parvient également à distinguer des sensations du non-moi.

It is not possible to tickle oneself (tickle = sensations externes sans anticipation interne).

Ce qui rejoint la théorie de Freud (et même sémantiquement, lorsqu’il utilise le terme : messages d’efférence = « Abfuhrnachrichten ») selon ses signes de réalité comme critère de différence entre intérieur et extérieur, entre du soi et du non-soi.

Processus secondaires et voie dorsale (action).

Pour  Freud, le processus secondaire n’est fonctionnel que s’il s’appuie sur des signes de réalité valables. Et neurophysiologiquement, il se déploie selon un circuit neuronal qui emploie les copies d’efférence. Il s’agit de la voie dorsale.

La voie dorsale implique la SMA (supplementary motor area) frontale, le cervelet (contrôle) et passe par les voies pariétales (intentions). C’est la voie dite de la « vision pour l’action », actions dirigées vers un but ; Jeannerod la nomme la voie du traitement « pragmatique ».

L’action intentionnelle tient du processus secondaire, contrairement à la réaction qui tient du processus primaire. Il y a intention en vue d’une action adéquate, pour soulager la tension.

Au niveau du cortex pariétal, il doit il y avoir une convergence entre les informations somato-sensorielles en provenance du pariétal postérieur avec les informations des mouvements du corps en provenance du pariétal supérieur. Ces informations sont utilisées par le cortex frontal en vue du déploiement d’une action adaptée au contexte réel.

Processus primaires et voie ventrale (reconnaissance).

La voie ventrale est dite la « vision pour la perception » ; Jeannerod la nomme la voie du traitement « sémantique ». Elle concerne le cerveau occipital (les objets perçus comme tels) et le cerveau inféro-temporal (représentation des objets). Et pour  Freud, le processus primaire est automatique, immédiat, réflexe, selon une trajectoire la plus courte, voire hallucinatoire, et de toute façon indépendante du contexte, du temps et de l’espace, comme dans le rêve.

Cette voie ventrale est néanmoins soumise à l’axe fronto-pariétal qui produit une prise de conscience en imposant une soustraction des distracteurs en fonction de l’action en cours.

Il existe une hiérarchie physiologique, à savoir un rôle inhibiteur préfrontal et pariétal sur la voie ventrale, tout comme chez Freud le secondaire modère le primaire.

Le moi et le cortex préfrontal.

Si les processus primaires sont fonctionnels dès la naissance, les processus secondaires s’acquièrent avec la maturité. Ceci est également pertinent d’un point de vue organogénétique que psychogénétique. En miroir, dans la schizophrénie, on observe un déficit de l’inhibition, tant du cortex préfrontal que des processus secondaires

Ch6 : l’action linguistique

Le langage est action, un événement moteur. L’acte d’énonciation produit un phonème.

C’est le mot dans son ensemble, « holistique », qui est l’unité initiale menant à l’émergence de segments plus fins, les phonèmes, et ces derniers, composant un mot, ne sont pas perçus comme indépendants.

La perception du langage implique également la motricité.

De même une parole est imaginée sans être produite : activation de l’aire de Broca même sans énonciation vocale. Idem lors de la parole intérieure, et aussi l’hallucination.

Comme toute action, le langage s’inscrit sans le modèle psychodynamique de l’action, selon un processus primaire et un processus secondaire.

Dans le cas du processus primaire, par voie ventrale, 1° l’action est immédiate par coïncidence entre matériel stocké et matériel stimulus ; 2° l’action linguistique n’est pas concernée ; 3° le langage primaire est soumis à l’action inhibitrice du processus secondaire dans le traitement conscient du langage.

Le langage primaire ne tient pas compte de l’ordre des mots dans une phrase et des lettres dans un mot ; il demeure inconscient sauf si l’inhibition secondaire est levée.

Ce qui s’illustre par exemple lors d’homophonies ou de jeux de mots (l’effet « yau de poil »)

Dans le langage primaire, les associations verbales se font en fonction de similarités tant phonologiques que sémantiques ou métonymiques et même graphémiques. Les phrases se décomposent en mots et les mots en phonèmes. Il n’y a pas d’organisation grammaticale.

Et dans la psychose, l’inconscient est à découvert et les processus primaires dominent.

Exemple clinique de ZR.

Dans la névrose, l’inconscient est inhibé mais peut parfois se révéler lors de lapsus.

L’action inconsciente a lieu en continu, parallèlement à l’action consciente. Mais il ne porte pas les labels lexicaux sous lesquels on l’attend ; néanmoins il reste reconnaissable pour ceux qui peuvent l’entendre.

Références à la « lettre volée » d’Edgard Allan Poe, ou aux « métamorphoses » d’Ovide.

Dans le cas du processus secondaire, par voie dorsale, 1° l’action relève d’une intention (plutôt que réaction) ; 2° l’action linguistique prend en compte les positions relatives des fragments linguistiques de manière stratégique ; 3° ce langage exerce une surveillance inhibitrice sur la voie ventrale dans le traitement conscient du langage.

1° L’action linguistique correspond au langage symbolique, animée par l’intention de parler.

D’abord, la différence entre l’intention de dire et les objets ou stimuli linguistiques, correspond à la différence psychodynamique cruciale entre énonciation et énoncé.

L’énoncé est constitué de fragments linguistiques avec significations respectives.

L’énonciation a trait à une vérité première du sujet, qui le pousse à parler, avec intention.

Vu que l’énonciation peut également se dire avec d’autres mots, elle peut s’émanciper des fragments linguistiques de son énoncé.

La psychothérapie amène parfois un sujet à basculer de la fixité d’un énoncé à la liberté de l’énonciation. Ce passage de l’énoncé à l’énonciation serait aussi celui qu’effectue le langage du processus primaire au processus secondaire, c’est-à-dire du langage du symptôme au langage rationnel. En physiologie, passage du traitement ventral au traitement dorsal.

2° Ensuite, ce serait précisément la capacité de distinction spatiale de la voie dorsale qui permettrait le maniement d’un langage positionnel, c’est-à-dire l’émergence d’un langage de type symbolique. La vocalisation serait une évolution secondaire d’un langage de gestes manuels et oro-faciaux. Il y a un rapport entre la capacité d’établir des distinctions spatiales dans l’action et le développement d’un langage syntaxique ou grammatical.

Il y a une distinction entre le « qu’est-ce ? » càd le conceptuel de la voie ventrale, et le « où est-ce ? » càd le spatial et temporel de la voie dorsale.

Un psychotique reste bloqué au niveau de la reconnaissance de l’objet (« qu’est-ce ? »), avec difficulté d’accès au langage spatial (« où est-ce ? »).

Le langage du processus secondaire se situe dans la voie dorsale qui permet une spatialité : place des phonèmes dans un mot, des mots dans une phrase, et de phrases dans un contexte.

3° Enfin, grâce à son cortex préfrontal, l’homme passe du système référentiel et indexical de type animal au système symbolique dans lequel les éléments sont à saisir en fonction de leur relation aux éléments périphériques. Le cortex préfrontal inhibe l’automaticité indexicale au profit d’alternatives séquentielles ou hiérarchique d’ordre supérieur (Deacon).

Ainsi se désamorce la désambiguïsation. Il y a équivalence entre l’action du cortex préfrontal et le moi freudien, qui permet le processus secondaire, de maturation lente.

Ch7 : des fantômes dans la voix

Renversement épistémologique : la clé du mental n’est pas le passage de la représentation au mouvement, mais l’inverse, celui du mouvement à la représentation.

La simple intention de mouvement sans son exécution déclenche l’activation de la SMA (alors que si mouvement s’en suit, l’activation de l’aire motrice primaire se fait de surcroît). Ce phénomène est appelé imagerie motrice. Il s’agit d’une production intérieure d’un acte moteur répété dans la mémoire de travail. La neuroanatomie de l’imagerie motrice est constituée de B40, SMA, l’aire prémotrice ventrale, le gyrus cingulaire et le cervelet.

Ce processus est le corrélat de beaucoup de situations courantes, comme l’observation de l’action chez l’autre (neurones miroirs), l’anticipation, la préparation ou l’intention de l’action, son abstention ou encore son souvenir.

L’imagerie motrice de la parole est conçue comme la contrepartie interne de la vocalisation, càd la parole intérieure telle, comme la réflexion, les commentaires muets ou fragments de langage fugaces (rimes, refrains, jurons, prières, slogans, …). L’imagerie motrice de la parole prépare l’exécution de l’articulation.

La représentation émerge de la béance entre intention d’agir et action effectuée.

1. Les neurones maintiennent une activité jusqu’à ce que le but soit atteint (feedforward des copies d’efférence); si tel n’est pas le cas, la décharge entretenue serait interprétée comme une activité représentationnelle et donnerait lieu à une image mentale (Jeannerod) ; si par contre, il existe une résonnance entre intention et réalisation, la représentation s’annulera.

2. Dans le cas contraire, intention sans réalisation, la représentation sera proportionnelle à l’écart entre intention et non-réalisation : il n’y a pas d’atténuation ni soustraction du retour proprioceptif, et une représentation émerge sous forme de négatif, de manque à agir par rapport à l’intention.

En terme lacanien, on pourrait dire que ce qui est impossible à filtrer par anticipation est de l’ordre du Réel (ça pète à la gueule !).

Et donc, le but de la représentation est bien plus que par essence se représenter sa propre motricité ; en négatif, elle permet de surcroît de percevoir l’inanticipable, càd l’altérité, ce qui est extérieur à soi.

3. En cas de non-retour sensoriel dans le cas d’un membre fantôme, il existe une béance structurelle infranchissable au niveau du comparateur des copies d’efférence ; cette béance entretient une activité soutenue de SMA, qui correspond au vécu de réalité du membre, qui est manquant, qui correspond à un fantôme. Il n’y a que du feedforward structurel donnant une représentation de réalité et d’extériorité.

Dans le langage, chez Freud, nous apprenons à parler en associant une image sonore verbale (Wortklangbild) à une sensation d’innervation verbale (Wortinnervationgefühl). Ce dernier est le ressenti d’un programme moteur (feedforward) qui pourrait causer, si on l’effectue réellement, l’image du son que l’on vient d’entendre (feedback). Ce concept correspond à l’image du mouvement de la parole prédite sur base des copies d’efférence.

L’articulation implique, comme dans toute action, l’activation d’une imagerie motrice. La représentation du langage émergerait entre intention et réalisation de l’articulation. Comme dans l’action, nous atténuons également le retour anticipé de nos propres articulations. L’entendement de notre propre voix est atténué, comparativement aux voix externes.

Puisque l’action phonémique est celle de la motricité de phonèmes, l’imagerie articulatoire est d’un type phonémique. La phonologie peut mener à une multitude de significations.

Mais à l’instar des actions, il reste toujours une béance entre intention et réalisation. Celle-ci permet la représentation de l’action linguistique, càd la sémantique, la signification du mot.

Démonstration de ceci par la satiation sémantique qui consiste à répéter un mot à outrance qui provoque un vide sémantique : la béance entre intention est réalisation annule la signification.

Revenons à la théorie freudienne de l’inconscient qui est le résultat du refoulement causé par un conflit entre les pulsions venant du moi et les contraintes sociales venant de l’autre. Le noyau de l’inconscient est constitué de représentants de la pulsion induisant une représentance de la représentation ou Vorstellungrepräsentanz ; celle-ci a un plan d’action formé de motions de désir. La représentance de la pulsion est la première percée psychique en vue d’une action.

Le désir s’apparente à l’intention d’action, qui est active tant que l’action représentée n’est pas terminée, ou alors bloquée.

Le refoulement n’agit que sur la motion pulsionnelle, pas sur la pulsion elle-même. L’accès à la conscience est barré à la représentance de la représentation, si bien qu’il ne peut plus être mis ni actes, ni mots : les désirs persistent mais restent inconscients. Ils continuent à exercer une influence, capable de rejetons, qui troublent la relation au conscient. Le refoulement des représentations peut également provoquer un surinvestissement induisant des représentations substitutives, telles les symptômes, qui constituent le retour du refoulé. Si les représentations substitutives peuvent ainsi s’écouler sous leur forme, elles ne peuvent le faire sur leur contenu si bien que la tension s’accroît, ou en tout cas ne diminue pas.

On trouve une équivalence entre la notion sensorimotrice d’intention d’action et la notion psychodynamique du désir. On y retrouve également pour cette dernière une insistance de la motion qui fera émerger un fantôme qui prendra une forme motrice équivalente à la forme motrice de la représentation refoulée. Un désir non suivi d’action fera émerger une imagerie motrice,  à l’instar de l’énonciation du désir : le fantôme moteur de la représentation refoulée provient du décalage entre impulsion et retour. Puisque le fantôme se fait sur la base des copies d’efférence, ce qui détermine sa structure n’est pas à présent son contenu mais sa forme : il s’agit de représentations substitutives mais de signification différente (même forme mais contenu différent, telles les similarités phonologiques, ambiguës).

Exemple clinique d’Ef.

Il s’agit ici d’adoption de formes sémantiques nouvelles. En effet, ce qui n’est pas possible pour un bras – puisque un bras reste un bras – prend une autre dimension pour le langage qui, grâce à sa nature ambiguë, peut changer radicalement de signification alors que son image motrice reste la même. Les associations entre représentations refoulées et représentations substitutives présentent des similarités : condensation, métaphores, métonymies, homonymies, assonances, et autres jeux de mots. Ces fantômes phonémiques correspondent aux représentations substitutives de Freud, elles constituent des indications du refoulé, càd des marqueurs de l’inconscient, que Freud appelle le retour du refoulé.

Il y a donc un décalage  au niveau du comparateur au niveau de la SMA, sans-doute causé par une inhibition par les circuits sous-corticaux en cas de forte émotion. Les fortes tensions émotionnelles dérangent la production ou l’utilisation des copies d’efférence.

Le refoulement pourrait s’articuler au niveau de la physiologie comme décalage entre intention et réalisation d’un désir, produisant un fantôme moteur ou phonémique. Celui-ci engendre des représentations substitutives, d’une même forme mais de sémantique différente, et donc incapables de tarir la pulsion.

L’inconscient freudien se manifeste par un tissu de fantômes phonémiques, propre à chacun. La pulsion bute contre un réseau de tendances qui attirent et dirigent l’énergie pulsionnelle vers ces « autoroutes » déjà tracées, qui ont déjà acquis une certaine autonomie.

Le langage, propre à l’humain, étant ambigu, le refoulement répond à la pulsion et sa représentance par la forme mais pas par le contenu. Ces fantômes phonémiques écoulent leur activation par  des actions substitutives.

L’hypothèse de ce livre :

Les fantômes phonémiques organisent l’inconscient : l’inconscient dynamique est un espace d’action linguistique sous-tendu par des attracteurs phonémiques propres à l’histoire du sujet.

Ces fantômes phonémiques ressemblent à ce que Lacan nomme les « signifiants maîtres ».

Les phonèmes fantômes organiseraient la structure de l’inconscient.

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Ce livre d’Ariane Bazan est aussi avant-gardiste que complexe et ardu.

La bibliographie est extrêmement fouillée, à la mesure de la culture scientifique de l’auteure.

Cette tentative de résumé ne doit faire en aucun cas l’économie de la lecture de cet ouvrage ; il n’a la prétention que d’essayer d’en simplifier la compréhension, avec le risque de trahir parfois l’essence de l’ouvrage, mais donc aussi d’encourager à le (re-re-)lire dans le texte.

Philippe Cattiez.