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De la "fusionnalité" comme axe de développement psychique

Conférence et séminaire clinique

avec A. Lombardozzi et G. Meterangelis

Bruxelles, 14 et 15 novembre 2025

https://drive.google.com/file/d/1GFnrTXiBmNCnXOR9sJUZUzErAFbfijMi/view

 

De la "fusionnalité" comme axe du développement psychique"

Conférence et séminaire clinique avec A. Lombardozzi et G. Meterangelis, Bruxelles, 14 et 15 novembre 2025

A l'initiative de Jean-Paul Matot s'est constitué un groupe de travail avec des psychanalystes ayant participé à ses séminaires des années précédentes. Dans un mouvement de symbiose entre écoles - Société Belge de Psychanalyse (SBP), Association pour la Recherche en Psychothérapie Psychanalytique (ARPP), Ecole Belge de Psychanalyse - Belgische School voor Psychoanalyse (EBP-BSP) - il a pour objectif de penser la psychanalyse à travers le monde et le monde à travers la psychanalyse. Alberto Lombardozzi et Giovanni Meterangelis nous parleront de leurs travaux  sur le concept de fusionnalité comme processus central du développement psychique. Nous en discuterons l'articulation vitale avec les processus de différenciation, ainsi que les rapports avec les concepts de symbiose et de fonctionnements transitionnels.Ce week-end de travail se situe dans le cadre d’une réflexion sur l’évolution des paradigmes de la psychanalyse visant à dégager les fondements psychosociologiques de l’émergence de nouveaux rapports individuels et collectifs de l’humain au vivant et aux systèmes-Terre.

 

"Over fusionaliteit als as van de psychische ontwikkeling"

Lezing en klinisch seminarie met A. Lombardozzi en G. Meterangelis, Brussel, 14 en 15 november 2025

Op initiatief van Jean-Paul Matot is een werkgroep gevormd met psychoanalytici die in voorgaande jaren aan zijn seminaries hebben deelgenomen. In een symbiotische beweging tussen verschillende scholen – Belgische Vereniging voor Psychoanalyse (SBP),  Vereniging voor Onderzoek in Psychoanalytische Psychotherapie (ARPP), Belgische School voor Psychoanalyse (EBP-BSP) – is het doel om de psychoanalyse te doordenken via de wereld, en de wereld via de psychoanalyse. Alberto Lombardozzi en Giovanni Meterangelis zullen hun werk presenteren over het concept van fusionaliteit als centraal proces in de psychische ontwikkeling. We zullen de vitale samenhang bespreken met differentiatieprocessen, evenals de verbanden met de concepten symbiose en overgangsprocessen. Dit werkweekend maakt deel uit van een bredere reflectie over de evolutie van de paradigma’s binnen de psychoanalyse, met als doel de psychosociologische grondslagen te verhelderen van het ontstaan van nieuwe individuele en collectieve relaties van de mens tot het leven en tot de Aarde-systemen.

 

Texte introductif


Conférence « fusionalita » du 14 novembre 2025
Introduction par Jean-Paul Matot


Les civilisations humaines en général, et les systèmes démocratiques des pays occidentaux en particulier, traversent une crise dont on peut penser que l’épicentre réside dans l’impact des bouleversements écosystémiques profonds et durables résultant de modes de développement qui ne prennent pas en compte les limites de stabilité des systèmes Terre.


Les psychanalystes sont a priori assez bien placés pour réfléchir, certes en alimentant leurs réflexions par celles qui sont en cours dans d’autres champs de savoir, aux dimensions psychologiques, individuelles et collectives, qui sont sous-jacentes à cette indifférence aux conditions de stabilité des systèmes-terre, et qui malgré une prise de conscience déjà importante de ce problème, peinent à se modifier. Cependant, les travaux psychanalytiques qui tentent de participer à cette réflexion n’ont pas amené jusqu’à présent de perspectives convaincantes sur ces questions, restant le plus souvent dans la répétition des modèles des développés par les grands auteurs de la psychanalyse du 20è siècle.


Avec un certain nombre de collègues belges appartenant à une pluralité d’associations du secteur, nous avons orienté notre travail vers l’exploration de ce que ce que nous appelons « perspective symbiotique » pouvait apporter à la réflexion psychanalytique sur - et dans – cette période que nous appelons l’anthropocène.


Le week-end de travail de ces 14 et 15 novembre nous permettra de découvrir et de discuter les travaux de l’école italienne sur le concept de « fusionnalité ». Alfredo Lombardozzi et Gianfranco Meterangelis, tous deux psychanalystes de la Société Psychanalytique Italienne, ont coordonné un livre récent sur ce thème, malheureusement non traduit en français. Leur venue nous apportera des éléments issus des travaux qui ont commencé dans leur société dans les années 1990 et se poursuivent toujours actuellement sur ce thème de la « fusionnalité », à la fois proche et un peu différent de notre « perspective symbiotique ».


Pour introduire à la fois ce week-end et le champ que nous souhaitons explorer ensemble, je voudrais dans cette introduction situer la manière dont notre groupe a commencé à traiter la question de la place des symbioses dans le champ de la psychanalyse.

 


L’axe que nous privilégié est celui des rapports entre le psychisme non-différencié et les différenciations, tout autant que les rapports entre ce que nous pouvons vivre comme « dedans » et « dehors ». Pour ma part, je l’ai abordé à partir de la pensée de deux auteurs, issus de champs différents :
- Winnicott, d’abord, qui d’une part attribue une place très importante à l’informe dans la genèse de la créativité, et qui d’autre part associe l’émergence de l’espace et des fonctionnements transitionnels aux processus de différenciation eux-mêmes lorsque se construit une différenciation dedans/dehors, émerge dans le même mouvement un espace qui à la fois réunit dedans et dehors et les sépare en n’étant ni-dedans ni dehors ;
- Gilbert Simondon, ensuite, psychologue et philosophe de la technique français des années 1960, relativement méconnu, qui a travaillé sur l’évolution des objets techniques et les processus d’individuation. Deux de ses idées me sont précieuses : d’une part le principe de co-émergence de l’individu et de son environnement ; et, d’autre part, celle selon laquelle les processus d’individuation émergent d’un potentiel pré-individuel non différencié, lequel reste actif tout au long la vie.


Ces éléments constituent la matière de base de mes trois livres récents, L’Homme décontenancé. De l’urgence d’étendre la psychanalyse (2019) ; Le Soi-Disséminé (2020), qui a été traduit en italien, mais malheureusement de manière peu satisfaisante m’ont dit des amis italiens ; et De l’informe aux configurations psychiques. (Dé)peindre la psychanalyse (2022).


A l’issue de ces réflexions, que je ne reprendrai pas ici, la question qui s’imposait était celle de la manière dont nous pouvions concevoir l’émergence des différenciations à partir du fond non-différencié.


Je commencerai par une métaphore, et il est amusant de constater que le texte d’Alfredo, que les participants au week-end ont reçu (il ne doit pas être diffusé !) débute par une métaphore similaire : j’imagine un océan. Un immense espace continu rempli d’eaux. Toutes ces eaux communiquent. Pourtant, elles diffèrent entre elles de nombreuses façons : des gradients de pression selon la profondeur, des gradients de température, lesquels produisent des courants ; les marées, dépendant de phénomènes cosmiques ; les compositions des eaux dépendant des roches sous-marines et des métabolismes des organismes vivants dans cet océan. Cette métaphore permet de penser un espaces continu mais comportant néanmoins des zones plus ou moins différenciées bien que non séparées.


Ensuite, à travers des lectures dans les domaines de la biologie des sols (Selosse), des réseaux mycéliens (Sheldrake) et des entrelacements multiples du vivant (Bapteste), j’ai pris comme beaucoup d’entre nous la mesure de la place centrale qu’occupent les symbioses à la fois dans les dynamiques du vivant, et dans l’évolution, dont elles constituent une seconde voie majeure intriquée à la sélection darwinienne.


Concernant la théorie du Soi, il n’est pas inintéressant que l’immunologie moderne ait partiellement abandonné la théorie de Bennett, qui a dominé le champ dans la deuxième moitié du 20è siècle, fondée sur la distinction entre Soi et non-Soi importée de … la psychologie. Aujourd’hui, avec la prise en compte des cancers et des maladies auto-immunes, il est admis que ce n’est pas tant le caractère « étranger » ou « indigène » des cellules qui compte, mais plutôt les variables intensité forte ou faible et la temporalité brutale ou progressive du contact avec les antigènes qui s’avère décisive dans les réponses immunitaires.


Il m’a semblé vraisemblable qu’une catégorie de processus qui joue un rôle aussi déterminant en biologie doive avoir quelques correspondances fonctionnelles importantes dans le développement du psychisme humain.


C’est ainsi que nous avons repris les travaux de José Bleger, et lu avec intérêt l’article publié dans l’IJP puis dans la RFP en 2017 par Léo Bleger sur les travaux de son père, en particulier ceux des années 1970 et 1971 peu avant son décès, où il relève notamment le déplacement du focus sur la symbiose, associée aux parts psychotiques de la personnalité, au profit de l’ambiguïté, structure syncytiale continue du psychisme fondant l’identité. Ce déplacement va de pair avec la critique de la notion d’indifférenciation, péjorative, au profit de celle de sociabilité syncrétique, empruntée à Henri Wallon. Et il implique aussi, écrit Léo Bleger, de « repenser autrement la question du narcissisme, de la reformuler en termes de structure syncytiale » (p.172).


Nous avons également repris les travaux de Searles sur la symbiose thérapeutique, qui se trouvent dans le livre Le contre-transfert publié chez Gallimard en 1981, traduction de 8 chapitres de l’ouvrage original de 1979 qui en comptait 24, la sélection ayant été opérée par J.-B. Pontalis. Pour mon propos d’aujourd’hui, je retiendrai l’idée d’une « base symbiotique du fonctionnement normal du moi chez un adulte » (p.20) et celle d’une activité et d’une réversibilité tant des liens symbiotiques que des processus de différenciations tout au long de la vie (p.21).


Sans doute faut-il relire aussi avec attention certains textes de Margaret Mahler, qui vont au-delà de ses hypothèses sur des phases autistiques et symbiotiques du développement, dont les psychoses autistiques et symbiotiques seraient les émanations respectives. En effet, elle met par ailleurs l’accent sur l’importance d’un équilibre, dans la relation précoce du bébé à son environnement maternant, entre « le plaisir procuré par la perception sensorielle externe » et « un niveau optimum de plaisir à l’intérieur (assurant) un ancrage solide dans l’orbite symbiotique » qui permet « un balancement libre entre ces deux formes d’investissement de l’attention » dont « résulte un état symbiotique optimum, point de départ d’une différenciation régulière et sans à-coups et d’une extension au-delà des limites de l’orbite symbiotique » (p.65). Il est frappant de voir combien cette perspective évoque ce que Searles avait observé dans les traitements psychanalytiques avec des patients schizophrènes : l’« apparentement » avec ce qu’il appelait le « non-humain » chez ces patients était compromis ou empêché soit par une fusion dramatique dans laquelle se dissolvait le sentiment d’exister, soit par un isolement radical et massif à l’égard d’un extérieur menaçant.


Recevant nos collègues italiens, il faut rappeler la place prise en Italie par le concept de « champ analytique » des Baranger, pour qui il est évident que la relation psychanalytique comporte une dimension symbiotique évidente.


Je termine donc cette brève introduction par une description schématique de la manière dont nous pourrions concevoir la place des symbioses dans le développement :
- Dès la période anténatale alternent des états de sommeil, de repos calme et des moments de perception-hallucination plus excitants ; la répétition de ces moments plus stimulants enrichit progressivement une existence psychosomatique du foetus dans laquelle la non-différenciation domine, mais où certains vécus sensori-moteurs trouvent à organiser des zones plus saturées en voie de différenciation ;
- l’accouchement, période d’expériences intenses et complexes avec les contractions utérines et le transit par les voies génitales maternelles, puis le passage du liquide à l’aérien, et la découverte d’un environnement sensoriel presque entièrement nouveau, confronte le nouveau-né à un ensemble de stimulations très fortes. La localisation spatiale désormais perceptible de la mère, sa réceptivité aux rythmes et aux messages corporels et émotionnels du bébé, la qualité de son accordage, favoriseraient, entre les états de sommeil et de repos calme, une co-émergence de processus de différenciations et de symbioses permettant au bébé de commencer à lier ses expériences et ses émotions.
- A partir des zones encore peu différenciées du psychisme, mais déjà saturées par les expériences néo-natales, les premières différenciations dedans/dehors se mettent en place, ébauchant l’émergence d’un premier sens de soi (Stern, 1985) ; mais dans le même mouvement, des processus symbiotiques rétablissent un équilibre dans le registre du non-différencié. De cette manière, les processus de différenciation s’accompagneraient de processus symbiotiques, les uns dépendants des autres et vice-versa. La vie psychique serait ainsi animée et structurée par ce double mouvement conjoint de différenciation et de symbiose qui se renforceraient mutuellement.


A partir de cette conception d’une dynamique conjointe différenciation-transformation symbiotique, se pose la question du rapport qu’elle entretient avec celle des fonctionnements transitionnels décrits par Winnicott. Searles (1976) y répond de manière tranchée, en considérant que les fonctionnements transitionnels font partie du champ des symbioses thérapeutiques. Pour lui, non seulement les symptômes du patient peuvent prendre une fonction transitionnelle dans la cure, mais il ajoute qu’après un certain temps, patient et thérapeute tendent à fonctionner comme objets transitionnels l’un pour l’autre, et que ces modalités peuvent faire obstacle aux processus d’individuation.


D’autres références bien sûr viendront s’ajouter en cours de route à cette trop liste succincte, limitée pour les besoins d’une introduction.