Si le rire est le propre de l’homme, la guerre pourrait être son revers sale. Prérogative d’espèce humaine, la guerre en se déclarant provoque la grande histoire et défait les petites à coup de morts transmises. Entre l’héroïsme supposé du combattant et l’identification au mal des survivants, la guerre ne laisse pas indemne nos capacités à nous raconter des histoires, à repérer nos frontières. Entre le bien et le mal, entre l’ami et l’ennemi, entre vivant et mort, la guerre est un état limite autant qu’un état de conflit armé entre des groupes politiques constitués.
Traumatismes bruyants ou tenus au secret, clivage des mémoires collectives ou mémoire clivée du soldat, la guerre brutalise nos récits de transmission. Et pourtant, cette expérience de mort donnée, et évitée également par ruse ou par chance , produit de l’épopée. A l’abri de la bataille, la guerre se récite, se transmet, requérant une forme narrative, elle se construit avec les failles du souvenir et malgré nos défenses psychiques à les tolérer, ces récits fascinent et troublent nos temps de paix.
Sa transmission est donc un enjeu de mémoire mettant face à face , la parole revenue du front et une écoute de l’arrière qui a l’écoutille entre-baillée entre effort de liaison et dénégation, refoulements ou clivages plus ou moins structurants, plus ou moins mutilants.
Autour du feu joyeux de la fin des combats, les hommes mettent en scène les ombres revenues des tranchées, dans les flammes dansantes, à peine la paix scellé, cela rougit la haine et la vengeance meurtrière d’un côté. De l’autre , après l’incandescence ce sont les cendres tombées qui cernent les absents définitifs.
L’Europe, du moins à l’ouest, au seuil de deux siècles, a pu croire à l’extinction des feux et la fin des combats. Le nationalisme c’est la guerre et le libre échange est la paix contrainte des marchands. La fin de l’histoire était même réfléchie sérieusement, la démocratie libérale avait plié le match, ni froide, ni chaude, la guerre ne pourrait avoir que des soubresauts civils. Le premier quart du 21e siècle fut la succession violente d’un même démenti, le réel de la guerre troublait la réalité de nos démocraties, attentait à notre capacité à l’oublier, à la croire dépassée. La guerre est là donc, infinie ou in-définie ? Rémanence d’un archaïque en l’homme ou essence du politique ?
Si l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe fut considérée comme le retour de la guerre en Europe, on peut se demander de quel oubli ce retour est le signe. Et de quel espoir aussi ce retour est le drame ? Si la guerre est tragique, n’est-ce pas précisément par son attrait au destin scellé ?
Pourquoi la guerre n’est peut-être pas une question dissertant sur l’origine de la violence mais sur sa fin possible ? Sommes-nous en droit de l’espérer ? De miser sur le travail de culture, sur la transformation de la destruction en autre chose ? Chose ambiguë tant elle ne serait sans doute pas un paradis.
Les événements sidérants de violence produisent souvent un effort de liaison et de vivre ensemble. Ce séminaire ‘Psychanalyse dans la cité’ participe de cet effort de liaison, tentant avec les outils de la clinique et de la psychanalyse de saisir ce qui s’ouvre, si proche de la déchirure, entre destruction et survivance, entre catastrophe et expectative (pour ne pas dire espoir) quand nous sommes atteints, comme corps politique, par la violence.
Cette année, sur le sillon de la guerre, c’est sa transmission que nous allons aborder, comment celle-ci nous attrape en temps de paix, par où elle passe dans nos corps et entre les générations, par quel bruit ou éclat de silence elle cherche son expression.
Le séminaire rassemble Anne Englert, Emanuele Ferrigno, Eric Fraiture, Valérie Leemans, Vincent Magos, Nadine Vander Elst et Nicole Zucker. La participation à ce groupe se fait par cooptation.
Modalités de travail :
1. Le séminaire se réunit un vendredi par mois de 11h 00 et 13h30 à Bruxelles (nous déjeunons ensemble). A tour de rôle, chaque séance est organisée sur base de la lecture commune d’un texte et sous la responsabilité d’un membre du groupe.
Dates : 22 septembre – 13 octobre – 17 novembre – 8 décembre – 26 janvier – 9 février – 22 mars – 19 avril – 24 mai – 14 juin.
2. Le séminaire organise des séances de travail ouvertes à tous:
- Le 10 octobre à 20h : Psychanalyse dans la cité avec Christophe Demaegdt
- Le 1ier décembre à 14h : Psychanalyse dans la cité avec Françoise Davoine