Ariane Bazan – A propos de la neuro-psychanalyse
(Exposés pour le 50ième anniversaire de L’École belge de psychanalyse – Mai 2015)
Ce texte propose de situer ce nouveau domaine d’interface, la dite « neuro-psychanalyse » dans la logique de l’histoire de la psychologie afin d’en articuler une épistémologie contre-intuitive et non-réductionniste. Le fil conducteur est l’idée que, de par l’histoire de la pensée, ce furent à chaque fois les progrès bouleversants de la biologie qui ont donné lieu au fondement, puis à l’institution, du domaine de la psychologie. Or, nous nous trouvons à nouveau dans un moment de grand bouleversement par les progrès en neuro-imagerie. La visualisation cérébrale étant cette-fois ci totalisante, nous pensons qu’elle va acculer la psychologie à son heure de vérité. En effet, le mental, en cette époque du paradigme médical et neurobiologique, est soit mal pensé, car pensé sur un mode médical, induisant ainsi structurellement de la psychopathologie, soit n’est pas pensé du tout, car réduit à un épiphénomène du biologique. Or, quand le dernier neurone sera finalement ouvert, nous aurons alors enfin la certitude que l’âme ne s’y trouve pas, et qu’il s’agira de fonder le psychique autrement, et notamment à partir du sujet et non de la fonction. Le psychique pourra alors se révéler comme ce qui propose une perspective sur le corps, plutôt qu’à partir du corps. Cette constatation permet la subversion du paradigme classique qui propose de « remonter du corps à l’âme », comme par exemple dans le dit « dual aspect monism », qui est l’épistémologie majoritairement en vigueur dans le domaine de la neuro-psychanalyse. Nous nous démarquons de cette approche et souscrivons à un dualisme épistémologique, qui propose au contraire que c’est ce qui du sujet qui pourra aider à penser la physiologie, qui donnera consistance à une véritable science autonome du psychique. C’est ainsi que nous proposons concrètement que les concepts de signifiant et de jouissance acquièrent une consistance du fait qu’ils peuvent offrir une grille de lecture éclairante de la physiologie du corps, consistance qui leur permet précisément d’être de bons candidats pour fonder une architecture de l’appareil psychique.
L’avènement de la psychologie en réponse au dévoilement biologique
Alors que depuis l’Antiquité, l’humain fut pensé sous le vocable de « philosophie », c’est au XVIe siècle que le mot psychologia apparaît pour la première fois (Mengal, 2000). Qu’est-ce qui a rendu nécessaire ce signifiant ? En ce siècle de barbarie religieuse où les corps souvent ouverts, jonchent la scène publique, les interdits officieux de l’église sur la dissection des corps humains sont dépassés par les faits. L’anatomie connaît de grands progrès et, pour la première fois dans l’histoire de la pensée, le médecin bruxellois André Vésale propose, avec ses planches anatomiques, une image des systèmes internes humains, et en particulier du système musculaire et des nerfs qui le parcourent. Ces images sont phénoménales et on peut supposer que leur effet est à la hauteur du bouleversement qu’engendre en ce moment l’imagerie cérébrale. En effet, elle découvre que cette fabrique du corps se révèle comme une machinerie logiquement agencée et dont, par exemple, le mouvement se laisse comprendre mécaniquement par la beauté des emboîtements des muscles et des nerfs. Jusque-là, la fysica, les sciences naturelles, d’Aristote était la source principale des connaissances médicales dans les sphères d’influence juive, chrétienne et musulmane depuis quinze siècles. Elle propose une prérogative de l’âme sur le corps : alors que le corps est une glaise qu’il faut réveiller à la vie par le souffle, c’est l’âme – l’anima – qui précisément organise et insuffle son mouvement à ce corps. Cette doctrine médicale sous-tend l’art de guérir depuis si longtemps qu’elle semble construite pour durer toujours. Or, voilà qu’en ce XVIe siècle, les dessins anatomiques la font trembler sur son socle: si ce n’est plus l’anima qui agite le corps, une anthropologie nouvelle, qui redéfinit cette âme s’impose. En 1540, le réformateur religieux allemand Philippe Melanchthon commente le De l’âme d’Aristote. Il enrichit le texte aristotélicien d’un long traité d’anatomie. Mais l’addition simple ne suffit pas, les images anatomiques du corps ont fondamentalement brouillé les anciennes cartes : puisque le corps semble en mesure de reprendre une série de fonctions, réservées jusque-là à l’âme (comme le mouvement mais aussi la chaleur du sang), il faut redéfinir cette âme. A la position d’Aristote, que tout être vivant, qu’il soit végétal, animal ou humain, possède à des degrés divers une âme qui organise le corps, Melanchthon oppose alors une anthropologie dualiste qui divise l’homme en un corps mouvant étendu dans l’espace et une âme pensante. L’homo duplex de Melanchton, l’anthropologia, est divisé en deux parties : l’anatomia, l’étude du corps, et – pour la première fois – la psychologia, l’étude de l’âme. L’utilisation du terme par Melanchthon est sa première utilisation intentionnelle et elle fonde un nouveau champ de la connaissance. Dans son sillage, le réformateur hollandais Rudolph Snellius (1594, 26-27) précise alors les propriétés essentielles qui distinguent corps et âme : « L’âme raisonnable de l’homme est la pensée qui, conjuguée au corps, parachève l’homme. (…) Les choses physiques plus proches des corps naturels qui se meuvent naturellement, possèdent une étendue et à cause de cela occupent un lieu » et « La faculté de l’âme rationnelle est la pensée ou volonté. La pensée est la faculté de l’âme de discourir et de penser à propos des choses qui sont et ne sont pas1 ». De façon judicieuse, la pensée est définie comme la capacité de se représenter les choses sans qu’elles ne doivent être présentes au moment même, c’est-à-dire comme l’imagination. Cette âme, nouvellement menacée par les progrès de l’anatomie, se voit donc repêchée par l’attribution de nouvelles exclusives, notamment la pensée (l’imagination) et la volonté. René Descartes (1648, 225) connaissait les progrès fulgurants de son époque en matière d’anatomie ; lui-même procédait à la dissection de corps animaux et humains. Il en vient à la conclusion que le corps est un appareil complexe capable de se mouvoir sans l’aide de l’âme : « L’âme ne peut exciter aucun mouvement dans le corps, si ce n’est que tous les organes corporels, qui sont requis à ce mouvement, soient bien disposés ; mais que, tout au contraire, lorsque le corps a tous les organes disposés à quelque mouvement, il n’y a pas besoin de l’âme pour les produire ». C’est en tant que philosophe que Descartes propose sa vision dualiste, qui correspond aux points de vue réformistes.
Le nom de « psychologie » émerge donc de la nécessité de penser l’âme en réponse au menaçant dévoilement de l’humain par la biologie. Ce paradoxe se répète à la moitié du XIXe siècle, quand la psychologie, jusque-là largement considérée comme une branche de la philosophie, s’émancipe en un domaine scientifique autonome. Et, à nouveau, c’est à l’aune des grands progrès de la biologie que ce remaniement a lieu. En effet, le XIXe siècle se caractérise par un nombre de découvertes fondamentales pour la physiologie, ce compris la neurophysiologie. Charles Bell et François Magendie découvrent indépendamment la distinction entre nerfs sensoriels et moteurs au niveau de la moelle épinière ; Emile du Bois-Reymond met en carte la nature électrique de la contraction musculaire : Pierre Paul Broca et Carl Wernicke identifient les aires du cerveau qui interviennent dans différents aspects du langage et Gustav Fritsch, Eduard Hitzig et David Ferrier localisent les aires sensorielles et motrices du cerveau (voir, p. ex. Brennan, 1998). Le physiologiste expérimental Hermann von Helmholtz étudie un large éventail de phénomènes, tel la nature du son et de la couleur, ainsi que leur perception (Warren & Warren, 1968). Dans les années 1860, Helmholtz engage à Heidelberg un jeune assistant médecin, Wilhelm Wundt. Wundt utilise l’appareillage du laboratoire physiologique pour étudier expérimentalement les principes de la perception sensorielle. Il applique la méthode des mesures de temps de réaction, une mesure propre à la recherche en psychologie. En 1874, il rédige le premier manuel de psychologie Principes de Psychologie Physiologique2 et en 1879, il établit le premier laboratoire qui sera spécifiquement dédié à la recherche originale en psychologie expérimentale. La psychologie comme discipline scientifique autonome voit le jour.
En d’autres termes, c’est la confrontation d’avec la complexité époustouflante du corps, respectivement du cerveau, qui au XVIe et au XIXe siècles, a contraint la pensée à fonder, respectivement à établir, le domaine de la psychologie. Ce qui semble se passer à chaque fois est la reconnaissance que ce qui fut attribué jusque-là à l’âme, est en fait réalisé par le corps. Il est très paradoxal que précisément cette reconnaissance mène alors à la promotion de la psychologie comme domaine autonome. Au XVIe siècle la mesure est prise de ce que l’anatomie peut expliquer en elle-même le mouvement du corps et en contrecoup, ceci aboutit à la fondation d’un nouveau domaine, la psychologie, distinct de l’anatomie et réservé aux qualités qui sont spécifiques à l’âme, telles la pensée, la parole et la volonté. Au XIXe siècle la mesure est prise de ce que la neurophysiologie peut expliquer la perception et le langage et ceci, à son tour, institue définitivement la psychologie comme discipline scientifique, distincte de la philosophie.
Paradoxalement, elle l’institue également comme distincte de la physiologie, bien qu’elle y soit solidement ancrée : en effet, certains philosophes et certains des premiers psychologues proposeront qu’elle se caractérise non pas par des fonctions propres, mais bien par des lois propres. En 1867, Wundt, par exemple, rejette l’approche naïvement matérialiste et défend l’idée de l’autonomie du psychique : les lois qui gouvernent le mental sont fondamentalement différentes de celles qui gouvernent la nature matérielle. Le philosophe John Stuart Mill (1882 [1843], 590, 593, 490) défend également l’autonomie d’un niveau psychologique d’analyse et rejette l’hypothèse des phénomènes mentaux comme « générés par l’intervention de mécanismes matériels3 ». L’étude des phénomènes mentaux doit partir de lois invariables qui sont à distinguer non seulement de la métaphysique, mais également des approches physicalistes de l’esprit ou de la psychologie biologisée. La psychologie a à décrire « les uniformités de succession, les lois, qu’elles soient ultimes ou dérivées, grâce auxquelles un état mental succède à un autre, est causé par un autre, ou, du moins, qui sont cause du fait qu’un état mental suit un autre4 ». Le physiologue Helmholtz (1896 [1877], 187), par ailleurs, propose que « la mémoire, l’expérience et l’habitude » soient des « faits, dont les lois sont à chercher, et qui ne peuvent être résolus [explained away] parce qu’ils ne peuvent […] être attribués aux lois connues de l’excitation nerveuse5 ». Il est donc à noter qu’en cette fin de XIXe siècle quelques-uns des tenants majeurs de la psychologie de l’époque cherchent à fonder la psychologie dans des lois et des régularités propres au domaine.
Les drames du mal-penser et du non-penser de la psychologie
Au XXe siècle, c’est alors Sigmund Freud qui, avec la psychanalyse, propose une science de l’âme dont les principes organisateurs s’affranchissent radicalement tant de la physiologie que de la philosophie. Freud, qui a une formation de neurologue, et qui s’inscrit dans la lignée de l’école physicaliste de Berlin, est fidèle aux enseignements de ses maitres Ernst Brucke et, surtout, Hermann von Helmholtz. Il réussit ce tour de force qu’est la métapsychologie psychanalytique qui, à l’instar de son autre maître – du côté de la philosophie – Mill, propose une véritable science autonome de l’âme dont les lois s’affranchissent du biologique tout en restant fidèle à l’approche transcendantale des physiologistes Fichte et von Helmholtz. C’est à dire que Freud en vient, muni d’une expertise en neurophysiologie, à supposer le fonctionnement physiologique de l’appareil psychique s’il est à rendre compte de ce à quoi il a affaire dans la clinique. Ceci aboutit alors en 1895 à l’Esquisse d’une psychologie scientifique où il introduit, par exemple, les concepts de processus primaires et secondaires pour décrire le mental – le processus primaire semblant alors être directement inspiré des lois déjà proposées par Mill, à savoir les lois de l’association par contiguïté et ressemblance.
Or, l’avènement des psychotropes dans les années 1950 conjugué aux avancées époustouflantes en imagerie cérébrale des trente dernières années ont à nouveau bouleversé le domaine de la psychologie et ont, en particulier, réinsufflé vie au paradigme partialisant dit « résolutif-recompositif » des débuts. En effet, le modèle fondateur de la psychologia est emprunté à l’anatomie : puisque la science procède par découpage, par la mise en évidence du plus simple, et qu’elle recompose à partir du plus simple au plus complexe, la psychologie a pour but de décrire ses facultés comme l’anatomie découpe le corps en ses parties. Le philosophe empiriste David Hume (1938 [1740], 6 ; 1969 [1739/40], 311), par exemple,décrit son projet en termes d’une anatomie de la nature humaine, c’est-à-dire il propose de décomposer les phénomènes mentaux en éléments plus primitifs (impressions et idées) et de reconstruire leur histoire formative à l’aide d’un nombre minimal de lois mentales. Wundt (1882 : 399), par ailleurs, propose que les objectifs de la psychologie scientifique soient « la complète décomposition [Zergliederung] des phénomènes conscients en leurs éléments ». Les avancées récentes des neurosciences permettent de totaliser cette ambition : en effet, rien de ce qu’on aurait voulu arroger à l’intime de l’âme, rien de la passion, de l’amour, de l’amitié, des aspirations ou même de la foi, de la morale, du désir ou de la jouissance orgastique, rien n’échappe à la visualisation. Quoi de plus étonnant que d’en déduire que le psychique ne serait rien d’autre qu’une sorte de phénoménologie ou d’expression directe de processus cérébraux ? La conséquence paradoxale de ces avancées semble alors être, logiquement, la conception de la psyché comme une phénoménologie du corps, et donc régie par les lois biologiques et médicales, d’une part, et l’impossibilité de penser la spécificité du psychique, de l’autre.
Nous proposons maintenant que tant ce « mal-penser » que ce « non-penser » soient structurellement voués à la faillite et au drame. Pour ce qui est du « mal-penser », si la psyché est régie par les lois biologiques, il s’en suit qu’il s’agit de traiter l’âme selon les mêmes principes que ceux en vigueur pour traiter le corps, c’est-à-dire, les principes médicaux. Nous avons proposé ailleurs (Bazan, 2013) comment ces principes médicaux, bien qu’ayant menés à des avancées précieuses et spectaculaires dans la médecine du corps, sont au contraire contreproductifs quand ils s’appliquent à la santé mentale. Nous citons brièvement trois de ces principes. Premièrement, précisément le diagnostic par découpage du problème de sa chaîne logique fait perdre son sens au symptôme. Ne reste au clinicien « spécialiste » qu’une approche essentialiste, qui explique le problème par une essence, une nature ou une prédisposition (Hyman, 2010). Cette essence est alors cristallisée par un nom, le nom d’un diagnostic. Or, ceci fixe le problème pour le sujet en l’y identifiant, sans proposer de réelles pistes de prise en charge (voir p. ex. Casper, 2008). Moncrieff et d’autres (1995; Moncrieff & Kirsch, 2005; Moncrieff & Timimi, 2010), par exemple, montrent que les labels diagnostiques sont moins utiles qu’une simple description des problèmes pour la prédiction de la réponse au traitement. Qui plus est, cette approche essentialiste entraîne, à son tour, l’aspiration à déterminer le profil distinctif de ces sujets avec le « même » problème et de nouveaux « troubles de la personnalité » voient le jour. Or, cette approche a des effets propres (Hacking, 1985, 102-103) : en effet, les sujets, mis à mal par leurs détresses et leurs désarrois, ou ceux de leurs proches, cherchent à saisir ces maux, et se trouvent (temporairement) soulagés à pouvoir y coller une étiquette. Mais même la British Psychological Society indique que « les clients, hélas, trouvent le plus souvent que le diagnostic n’offre qu’une fausse promesse de tels avantages [de reconnaissance] » et que « les diagnostics sont décidemment inutiles comparés à d’autres alternatives6 ». La proposition d’un nouveau diagnostic augmente la probabilité de ce diagnostic et peut ainsi contribuer à créer l’épidémie. Par exemple, Ethan Watters (2010) rapporte qu’à Hong Kong, la première description de l’anorexie mentale dans les médias en novembre 1994 a précédé l’apparition explosive de cette pathologie qui y était auparavant pratiquement inconnue (voir aussi p. ex., Kutchins, 1997). En ce qui concerne le deuxième principe médical, le dépistage et la prévention, selon la même logique, dans le domaine de la santé mentale, ces campagnes, ciblées sur les composantes découpées, ont l’effet inverse à celui espéré : le dépistage actif induit un appel d’air à l’identification aux troubles et contribue ainsi à provoquer des vagues d’épidémies psychopathologiques. Et finalement, l’élément constitutif de l’offre clinique de l’approche médicale est souvent le médicament psychotrope. Or, la façon dont la plupart des psychotropes ont leur effet thérapeutique n’est pas bien comprise. Qui plus est, leurs effets ciblent surtout les symptômes, privilégiant parfois la diminution des symptômes sur le soutien au fonctionnement psychosocial (Wunderinck et al., 2007) et leur bénéfice à long terme est parfois mis en doute (voir, p. ex. une étude récente, qui montre que, après 20 ans, un groupe de schizophrènes auquel ne fut pas prescrit de médicaments antipsychotiques, a significativement moins d’activité psychotique que le groupe de patients neuroleptisés ; Harrow et al., 2014). La discussion de ces différents aspects demanderait un débat contradictoire plus étayé, mais nous nous permettons, pour l’heure, d’en retirer l’idée que l’application des principes médicaux dans le champ de la santé mentale induirait de la psychopathologie plutôt qu’elle ne la soignerait (pour une discussion plus étayée voir p. ex. Gonon, 2011).
Par ailleurs, le choix de l’approche médicale doit être relié à une véritable impossibilité de penser le psychique tant dans les arènes scientifiques, que, par retour d’effet, dans le « grand public ». Par exemple, le neurologue Robert Burton (2013) dit dans son livre A Skeptic’s Guide to the Mind, que même après 2500 années de contemplation et de recherche, nous n’avons toujours « aucune idée de ce qu’est le mental7 ». Le domaine de la psychologie ne semble pas réellement avoir de réponse à la question : si tant est que les fonctions et les instances psychologiques peuvent être mises en correspondance avec des structures précises et déterminées du cerveau, en quoi la psychologie est-elle différente de la neurophysiologie ? Que veut dire psychologie au-delà du cerveau ? Loin d’être anodin, nous proposons que cet impossible peut mener « à la perte » pour les sujets. En effet, il semble aujourd’hui le plus souvent impossible de penser la souffrance autrement qu’en termes de paramètres biologiques ou sociologiques : si ce ne sont pas les gènes, les hormones, les neurones, alors ça doit être l’éducation, la famille, le contexte, la société, et vice-versa. Il n’y a donc de sujet que du corps ou du social, c’est-à-dire qu’il n’y a de sujet que victime ou objet. S’ensuit que ces « victimes » réclament des compensations, des droits et qu’elles guettent les coupables possibles, qui sont toujours externes et « autres ». Or, comme il n’y a pas de sujet, il n’y a pas d’éthique du sujet, ni de sujet mobilisable dans son rôle organisateur du malheur qui lui arrive. S’ensuit alors que, tel Sysiphe, incapable de se rendre compte de sa propre implication, ces sujets s’en retrouvent condamnés à répéter indéfiniment.
Un troisième temps pour la psychologie
Or, nous avons des raisons de nous réjouir : en effet, de « la source de tous les maux » peut venir le salut. En effet, les conséquences paradoxales des techniques de pointe en neuro-imagerie mettent les neurosciences dans un certain embarras. Maintenant que nous voyons de mieux en mieux, nous voyons « tout », et ce tout est vertigineux : dans le cerveau tout est connecté à tout de façon multiple – et réciproquement. En d’autres termes, ce n’est que depuis que nous voyons tout, que nous pouvons enfin prendre la mesure de ce que nous ne pouvons en vérité rien voir : le corps ne se donne pas à lire, il ne vient pas avec une grille de lecture attachée. Il n’y a pas de vérité sur la nature humaine qui se donnerait à lire par le neurone. Tant que nous n’aurons pas été jusqu’au bout, l’illusion aura de quoi se nourrir au moindre doute : « mais quand nous aurons des techniques plus performantes, à ce moment-là… ». Or, quand l’excès de données aura finalement effacé tout relief permettant une lecture – de la même façon qu’à trop bien voir la granulation de la photo on en perd l’image – alors s’articulera de façon plus pressante et plus précise la nécessité d’une grille de lecture à partir d’un autre niveau.
Nous proposons donc que la neuro-imagerie actuelle sonne un troisième temps pour la psychologie et que, du fait même de son dévoilement totalitaire, elle accule structurellement cette psychologie à son heure de vérité (voir aussi Bazan, 2011) : soit elle est exhaustivement remplacée par les neurosciences et elle disparaît en tant que telle, soit le domaine se fonde de façon radicalement différente, et peut-être pour la première fois de façon véritablement autonome. A cet endroit, nous proposons (en accord avec Mill, Wundt et von Helmoltz) que ce ne soient pas tant les modules, les composantes ou les capacités qui distinguent le psychologique du biologique mais bien l’échelle organisationnelle par laquelle elle les considère – de la même façon d’ailleurs que la biologie ne diffère pas de la chimie par ses composantes mais qu’elle les considère à une autre échelle (voir aussi Bazan, 2011). Plus précisément, nous proposons que la psychologie s’adresse spécifiquement au niveau du sujet plutôt qu’à celui de la fonction. Il s’agirait maintenant d’arrêter une définition de ce sujet (comme on a pu le faire précédemment pour la fonction), mais la logique du raisonnement proposé n’oblige pas à se restreindre à une seule définition, du moment qu’il s’agisse d’un niveau, qui permette une perspective sur le corps plutôt qu’une perspective à partir du corps. Nous proposons que ce sujet-là fonde le domaine du psychique en sa spécificité et que, paradoxalement, la révolution de l’imagerie cérébrale détienne en son sein la perspective de ce fondement.
Psychanalyse et neurosciences
Une méthodologie spécifique à la psychologie et qui livre le matériel pour la proposition de concepts cohérents au niveau du sujet est alors l’écoute clinique. Parmi les cadres qui s’inscrivent dans cette épistémologie du sujet, il y a la psychanalyse. Si la psychanalyse a pu proposer des lois propres au fonctionnement mental (ex. processus primaires et secondaires, signifiant, jouissance), son histoire montre que cette pensée est passée, pour ce qui en est de Freud, par le biologique : c’est à partir des limites du biologique que la métapsychologie se fonde. C’est par ce que le biologique héberge d’impossible à penser qu’elle donne lieu, qu’elle ouvre l’espace, qu’elle désigne le lieu d’où peut se penser le psychique. En d’autres termes et paradoxalement, cette biologie est vitale pour la psychanalyse.
Biologie et psychanalyse, neurosciences et psychanalyse, s’entrecroisent en particulier dans ce domaine dit de la « neuro-psychanalyse ». Cette neuro-psychanalyse est parfois – et parfois, à juste titre – considérée comme un barbarisme, tant par son nom que par sa chose. La ligne épistémologique la plus suivie est celle de Solms et Turnbull (2002), notamment le dual aspect monism, c’est-à-dire l’idée qu’il n’y a qu’un objet, qui peut être caractérisé de façon objective ou neuroscientifique – le cerveau – soit de façon subjective ou clinique – l’appareil mental. En fin de compte, il y aurait une correspondance plus ou moins linéaire entre les paramètres cérébraux et psychiques : chaque phénomène qui trouve une cohérence au niveau du cerveau correspond à un phénomène qui trouve une cohérence au niveau psychique. La recherche opère selon le paradigme classique : des observations neurophysiologiques sont mises en correspondance avec des caractéristiques comportementales ou de personnalité – de façon à ce que même dans une perspective psychanalytique l’on aboutisse à une sorte de mise en miroir : l’âme reflète le cerveau. Ce paradigme implique que la connaissance du cerveau puisse (directement) contribuer à la clinique psychanalytique.
Nous rejetons cette approche : nous proposons, au contraire, que l’objet ne peut exister en soi, c’est-à-dire, en tant qu’objet (inerte et construit) indépendamment de sa perception. Nous nous inscrivons dans une approche transcendantale selon Kant, qui propose que la façon dont ce qui de la nature8 fera objet est empreint de la façon dont cette nature est saisie, c’est-à-dire que l’objet se construit dans la négociation entre un sujet saisissant et une nature qui résiste (Van de Vijver & Demarest, 2013). L’idée n’est pas que le sujet puisse déterminer ou exhaustivement construire l’objet, mais l’objet est néanmoins marqué de la question qui l’a fait apparaître. Selon cette approche, la biologie construit un objet « cerveau » d’une part et la clinique un objet « appareil mental » de l’autre, mais il n’y a pas nécessairement de correspondance linéaire entre les deux. Ce qui fait cohérence dans le cerveau ne peut pas être mis en correspondance point-par-point avec ce qui fait cohérence dans l’appareil mental : l’âme n’est pas le miroir du substrat neuronal. Il s’agit donc d’une forme de dualisme, même si ce dualisme n’est pas ontologique. On pourrait dire qu’il s’agit d’un dualisme épistémologique, c’est-à-dire d’une approche qui refuse d’expliquer les états mentaux en termes d’états du corps.
Cette épistémologie s’inscrit dans une considération plus générale de l’organisation de la matière et du vivant. L’idée que, bien que la biologie émerge de la chimie, la biologie et la chimie constituent néanmoins des niveaux d’organisation autonomes de la matière qui ne sont pas dans un rapport réciproque de correspondance point-par-point et qui réclament chacun le droit à un propre appareil conceptuel, d’analyse et d’intervention, ne fait généralement pas grand débat. La psychologie ne se rapporte pas différemment à la biologie : bien qu’il puisse être important pour certains aspects de « retourner » au substrat biologique, il n’en serait pas moins absurde de tenter de remplacer « en fin de compte » des phénomènes psychiques par des dynamiques biologiques. Il est évident que ceci n’implique pas que la psyché apparaîtrait tel un génie d’une lampe. Le psychique se constitue dans le champ de tension entre un substrat biologique qui pousse et un niveau social qui tire, c’est-à-dire à partir d’une pression pulsionnelle et en réponse à un autre appelant. De cette ontologie, il en résulte que l’appareil est marqué tant de la biologie que de l’autre. La dimension « neuro-psychanalytique » dans notre approche tente alors de caractériser les points d’attache ou de nouage entre le biologique et le psychique, c’est-à-dire d’articuler comment un même phénomène au cœur d’un tel nœud peut s’épeler de façon tant biologique que psychique. A chaque fois, il s’agit de phénomènes qui rendent compte au niveau psychique de la condition humaine dans un corps humain. A l’endroit de ces nœuds la correspondance entre biologique et psychique est directe. Il y a néanmoins une différence essentielle avec le modèle moniste : la biologie impliquée dans ces nœuds ne dicte pas en soi l’organisation du psychique, n’a pas un rôle organisateur pour le mental, mais fonctionne comme contrainte, comme point d’achoppement qui limite en même temps qu’elle rend possible la constitution mentale (Van de Vijver, 2010).
Voilà donc que s’ensuit que notre approche des neurosciences est subvertie : ses progrès n’aboutiront pas à en dire sur la clinque du sujet, mais inversement, la clinique, elle, peut aboutir à proposer des concepts qui permettent de lire la physiologie, de débroussailler l’excès de données au niveau physiologique – en d’autres termes, à en dire sur le corps. Le propos se renverse donc : c’est en effet ce qui du sujet9 pourra aider à penser la physiologie qui pourra faire étoffe, qui pourra donner consistance à un véritable appareil psychique avec une architecture propre. Ce n’est pas le substrat physiologique qui démontre le concept clinique, mais c’est le concept clinique qui, puisqu’il s’avère capable de rassembler un nombre d’observations physiologiques disparates, acquiert une pertinence heuristique.
Nous avons proposé précédemment deux possibles nœuds entre les deux niveaux, notamment le signifiant (Bazan, 2007) et la jouissance (Bazan et Detandt, 2013). Il s’agit en même temps de deux dimensions cliniques de toute relation transférentielle, notamment l’irrationnel et le transgressif. Voici nos propositions.
Le signifiant est le phénomène qui rend compte au niveau psychique de la condition spécifiquement humaine du langage. À la différence d’avec toute forme animale de langage, les phonèmes du langage humain sont, au plus haut point, dépendants des phonèmes environnants pour leur interprétation, c’est-à-dire, du contexte. Cette dépendance éminemment contextuelle de leur interprétation impose une exigence colossale à la tendance naturelle du fonctionnement du cerveau, c’est-à-dire l’inhibition de l’élan systématique et spontané de l’interprétation directe dictée par le stimulus (le stimulus phonologique en particulier). Les phénomènes de signifiant « trahissent » que nous n’y arrivons pas tout le temps ou pas de façon exhaustive : dans la décompensation psychotique p. ex. le sujet est assailli par la polysémie du langage qui, par son effet associatif tout azimut, fait l’effet d’une bombe ; mais en dehors de la psychose, il y a également de symptômes structurés par le signifiant (des phobies, des rituels, des préférences, des dégoûts) qui trahissent que le langage ne s’interprète pas exclusivement contextuellement mais qu’il peut, en sa qualité d’objet à charge affective, fixer une tendance du sujet. Au niveau biologique, le signifiant est un fragment phonémique, au niveau psychique il est une tendance psychique propre au sujet et, au niveau social, une dimension irréductible de la déraison (et de la folie) humaine.
La jouissance est le phénomène qui rend compte au niveau psychique de la condition du corps pulsionnel. Les premières sources pulsionnelles se situent dans le corps invertébré, le « sac » de viscères, dont le système respiratoire, la circulation sanguine, le système digestif, le système d’excrétion et le système de reproduction. Des besoins ou des alarmes du corps interne sont traduits en un excès d’excitation qui incitent le corps externe, le corps vertébré – le squelette et les muscles squelettiques – à agir. Chez de nombreuses espèces animales ces deux corps sont raccordés de façon « naturelle » : un poulain nouveau-né qui a faim, par exemple, peut se mettre sur ses pattes et s’avancer vers le téton de la jument. Dans d’autres espèces animales, et en particulier chez l’homme, il y a une vraie béance entre corps interne et corps externe. Quand il y a alarme au niveau du corps interne, l’humain est incité à agir (avec son corps externe), mais cette action n’est pas dirigée naturellement vers une action qui serait adéquate par rapport à l’alarme : le nouveau-né qui a faim, par exemple, se met à crier et à agir, des actions qui en soi ne calment pas la faim et qui simplement témoignent d’une tendance non-dirigée à la décharge. Quand, par accident, ou grâce à l’aide d’un congénère, une action adéquate est trouvée (par exemple, la mère met l’enfant à son sein), alors cette séquence d’actions (p. ex. la succion) est récompensée biologiquement et inscrite dans l’histoire du corps : ceci se ferait par le biais du système mésolimbique (voir Bazan et Detandt, 2013). Cette inscription a cependant comme conséquence structurelle que l’action et son résultat sont découplés puisqu’elle incite à répéter l’action en tant que séquence motrice en soi, et indépendamment de son résultat. Dans la nature, il est rare qu’une action mène à des résultats radicalement différents d’avec le résultat inaugural. Dans la culture cependant, les changements de contextes sont pléthore, et une action qui fut à l’origine adéquate (par exemple, l’enfant qui se tient immobile en réponse à une mère surmenée et irritable) peut à d’autres moments être non adéquate ou même dommageable (par exemple, l’adulte qui se tient à carreau dans des interactions professionnelles ou sociales). La jouissance « trahit » l’inscription de séquences d’actions indépendamment de leur résultat. Au niveau biologique la jouissance est l’inscription mésolimbique de l’action « adéquate10 », au niveau psychique il s’agit d’une compulsion à répéter singulière au sujet et au niveau social d’une dimension irréductible de la transgression (puisque le sujet est attaché à l’agir en soi).]
Ces deux composantes avec ce potentiel heuristique seraient capables de fonder une architecture psychique. Bien que pour les deux, il soit possible de proposer un substrat biologique, les deux échappent néanmoins à la logique du miroir : pour les deux il existe, au-delà du nouage avec le biologique, un déploiement théorique particulièrement articulé et basé sur la clinique, qui s’émancipe radicalement du biologique. Ce déploiement théorique est alors ce qui peut seul donner un poids conceptuel à la notion d’appareil mental, alors que la pertinence de son articulation biologique atteste du fait que l’âme se concrétise à travers sa condition corporelle et des contraintes spécifiques que ce corps lui impose.
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Mes questions à Ariane Bazan par Philippe Cattiez
La thèse de votre exposé consiste à démontrer que, au cours de l’histoire, chaque avancée scientifique, toute découverte matérielle, reste insuffisante et frustrante, tant chaque fois l’aspect immatériel de l’âme échappe à la compréhension de notre fonctionnement psychique.
Ainsi, les non-réponses des sciences exactes relancent chaque fois une théorie du psychique. Le psychique, s’il repose bien sur le substrat organique du cerveau, fonctionne par ailleurs de façon autonome par rapport à l’organique. Plus que jamais aujourd’hui, une métathéorie par le psychique pourrait et devra éclairer les neurosciences, et non l’inverse.
Merci pour ce beau cours d’histoire : la phylogenèse de la psychanalyse. Je reprends.
Vous partez d’Aristote, avec une âme supérieure qui donne le souffle à un corps inférieur. Ensuite, au XVIe siècle, découverte du corps par la dissection. Vous citez l’« homo duplex » de Melanchton, avec les concepts indépendants d’« anatomia » et de « psychologica » ; ce serait la première apparition du terme « psychologie », autonome ; psychologie autonome ; le λόγος du Ψυχή : le discours de l’esprit. Plus tard, au XIXe siècle, apparition de la neurophysiologie. Mais alors, force est de redécouvrir, une fois de plus, que le psychique n’est pas généré par des mécanismes matériels, mais qu’il en échappe, il en est autonome (ceci marque le second temps de la psychologie). Au XXe siècle, Freud propose une science de l’âme totalement affranchie de la physiologie : Freud, de formation neurophysiologique, invente la psychanalyse. Mais dès la seconde moitié du XXe siècle, on voit apparaître la prescription de psychotropes et l’invention de la neuro-imagerie. Le triomphe des sciences médicales.
A présent, en ce XXIe siècle, vous annoncez le troisième temps de la psychanalyse avec l’avènement de la neuro-psychanalyse. Celle-ci est inventée par Solms et Kandel (Nobel). Selon eux, il y aurait correspondance plus ou moins linéaire entre paramètres cérébraux et paramètres psychiques. Ainsi, les neurosciences devraient expliquer la psychanalyse.
Mais tout comme François Ansermet, vous renversez cette approche : à l’instar de la biologie qui émerge de la chimie, et qui en est autonome, de même, la psychologie émerge du médical pour également en devenir autonome.
Et la neuro-psychanalyse doit trouver des nouages entre biologique et psychique.
Vous donnez deux exemples magistraux de nouages : le Signifiant et la Jouissance.
1. Le signifiant : le génie du cerveau humain qui contextualise le phonème dans un langage.
Y a-t-il une correspondance entre phonèmes et « neuronal assemblies » de François Ansermet dans son livre À chacun son cerveau ? Ces assemblies constituent des rassemblements de quelques synapses qui forment une trace, équivalente aux Wahrnehmungszeichen freudiens (signes de la perception), ou encore au Signifiant lacanien. Ces assemblies s’articulent comme un langage, langage devenu autonome grâce à la primauté du signifiant sur le signifié.
2. La jouissance : l’action pulsion/satisfaction s’autonomise, et peut déraper dans le symptôme.
A quel moment la pulsion devient-elle jouissance ? La pulsion est inscrite dans le soma au niveau méso-limbique et dans la psyché au niveau inconscient. Dans la jouissance, quel est le modus qui provoque une « schize » induisant une répétition à vide d’actions transgressives, telles qu’on les retrouve p.ex. dans les formes d’addictions, sexualité compulsive, etc …
Mais par ailleurs, n’existe-t-il pas d’autres nouages entre neurosciences et psychanalyse ?
• Exemple de nouage : Mirror neuron
L’idée d’un corps en mouvement est centrale chez Freud. Dans l’Esquisse déjà, il parle de « valeur imitative ». Ce que l’on découvre à présent avec le concept de « neurones miroirs ». Deux situations pourraient éventuellement mettre en évidence la faille des neurones miroirs :
– dans le jeu, dans le sport, par la feinte : désarçonner l’adversaire, une perversion jouée ;
– en psychopathologie, la perversion : le double message qui rend fou, le mensonge effronté.
• Exemple de nouage : Efference copy
Freud avait repéré, selon sa terminologie, des neurones « phi » perceptuels, et des neurones « oméga » moteurs et contigus aux premiers ; ces derniers atteignent le système « psy » ; l’information de décharge venant de « oméga » devient alors pour « psy » le signe de réalité.
Mais aussi, en neurosciences, selon la théorie des copies d’efférence, le percept ne provient pas de la réception passive, mais se construit à partir de la motricité de l’acte de perception. Ainsi, toute commande sensorielle se construit à partir de deux sortes de retours sensoriels :
– d’une part, un retour sensoriel réel (feedback) ;
– d’autre part, un retour sensoriel prédit (feedforward).
Et l’écart entre ces deux retours doit s’annuler, ce qui fait qu’on ne peut pas se chatouiller soi-même. Mais si l’écart persiste, risque de « fantôme », de psychose : retour du refoulé, ou du forclos, typique de la psychose : « ça chatouille dans ma tête – je suis parlé ».
Ici, peut-on voir un nouage entre les neurones « phi » et « omega » de Freud, avec les retours sensoriels réels et prédits des copies d’efférence ?
• Exemple de nouage : Embryologie
Dès la 16e semaine de l’embryon, la première activité électrique du cerveau est une activité rhombencéphalique rapide, analogue au sommeil paradoxal. La fonction de cet état « actif » est de stimuler le cerveau de façon automatique et autonome. Les circuits de ce système correspondront aux voies ventrales avec les processus primaires. Ce n’est qu’à la 28esemaine du foetus que l’on verra apparaître les cycles éveil/sommeil télencéphaliques, avec le développement des voies dorsales, où s’élaboreront très vite après la naissance les processus secondaires, ceci avec l’évolution de la psychogénèse et la plasticité cérébrale. Ainsi, déjà in utero, il existe une ébauche d’inhibition du rythme circadien (24h) sur le rythme ultradien (2h) : ceci annoncerait-il déjà une inhibition des processus secondaires télencéphaliques sur les processus primaires rhombencéphaliques ?
En conclusion la thèse est que la psychogénèse s’affranchit de l’organogénèse.
Ceci grâce à la plasticité cérébrale et au Signifiant.
Le Signifiant façonne le biologique humain.
Mais n’y a-t-il pas un danger de magnifier la plasticité cérébrale, François ?
Ou de célébrer la toute-puissance d’un Signifiant désincarné, Ariane ?
(Versus : cancer, autisme, hasard des catastrophes, …).
1Texte original en latin (cité par Mengal, 2000/2001, p. 10) : « Animus hominis est mens quae corpori coniuncta hominem perficit. (…) Physica pressior in corporibus naturalibus, quae physice moventur, magnitudine sunt praedita, and propterea locum implent. (…) Rationalis animae facultas est mens aut voluntas. Mens est animae facultas de entibus and non entibus disserens and ratiocinans », Snellius, R. (1594). Partitiones Physicae. Hanoviae: apud Guilielmum Antoninum? 1594, pp. 26-27.
2 Grundzüge der Physiologische Psychologie.
3 “generated through the intervention of material mechanisms”
4 “the uniformities of succession, the laws, whether ultimate or derivative, according to which one mental state succeeds another; is caused by, or at least, is caused to follow, another”
5 “memory, experience and custom […] facts, whose laws are to be sought, and which are not to be explained away because they cannot be […] referred to the known laws of nervous excitation”.
6The British Psychological Society Response to the American Psychiatric Association: DSM-5 Development, June 2011.
7 “no idea what a mind actually is.”
8De la matière – soit encore, du Réel dans une perspective lacanienne
9ou du psychique, ou de la maladie mentale
10Mais aussi de toute action en cas de trauma, puisque dans ce cas toute action est mieux que la non-action, indépendamment de son résultat – puisqu’en cas de trauma toute décharge, ou toute mise en forme déchargeable, du surplus d’excitation est, d’une certaine façon, « adéquate » (Bazan & Detandt, in press).