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Anne Verougstraete et Paul Hentgen: Rencontre avec Mauricio Garcia à Hélécine

Anne Verougstraete-Hendrickx | Traces 1

Garcia400C’est Mauricio Garcia, Chilien, qui vient nous entretenir, aujourd’hui, de son travail d’une cure. Au journal parlé de ce samedi matin, l’annonce d’un tremblement de terre qui a secoué la côte du Chili. D’emblée la compassion pour ceux de son pays, anonymes inconnus, que ce  séisme met à l’épreuve, est au rendez-vous de la journée clinique à Hélecine.

Il nous a annoncé un dispositif de parole au plus près de l’émergence des choses en séances, avec pour raison d’être principale de favoriser une discussion et un échange clinique le plus ouvert possible. Alors qu’au travers des fenêtres peu à peu les rideaux de pluie cèdent la place à un ciel ensoleillé, les échanges fusent, nourris, fraternels, sororaux… oraux comme réponse à ce que lui-même a choisi de ne pas mettre par écrit et que la confidentialité strictement demandée par son analysant, exige. Le travail d’analyse qu’il vient nous partager est passionnant et a suscité d’ abondants échanges entre nous dont voici quelques traces.

Il était une fois… c’est un conteur qui s’adresse à nous et qui, pas à pas, nous raconte, en des scènes précises et parlantes l’histoire de l’analyse de « Martial » avec Mauricio Garcia. Son récit fait entendre les situations qui donnent forme aux fantasmes, les  épisodes marquants de la cure et nous fait entrer dans le travail d‘analyse en cours. Il nous tient en suspens autour de la question de ce qui est en jeu, actuellement, dans le transfert. L’une d’entre nous relève les accents d’homophonie entre le nom de l’analyste et le prénom fictif donné à l’analysant. La place laissée au double et la méprise initiale sur le patronyme ouvrent le champ des échanges autour de l’identification imaginaire et symbolique. Une rupture dans la chaîne de la transmission est signifiée. Quelqu’un souligne que le geste d’un père qui pousse son fils vers son autonomie, tout en marquant la coupure, est sans efficience s’il n’est pas accompagné des mots pour dire au fils qu’il peut y aller.

Par un autre est relevée la lourde charge transmise transgénérationnellement. Reprenant et mettant en rapport des expressions fortes de l’analysant, il donne du relief à ce qui, sourdement, s’est dit. Comment décoder une langue non encore écrite ou écrite avec acharnement en des pages toutes perdues ? Comment apaiser la crise des ancêtres ? Lucien Mélèse, lors de sa dernière conférence à l’Ecole, invitait l’analyste à « accuser physiquement le coup » de ce qui lui est dit et à défiger les images de l’analysant avec ce qu’elles suscitent en lui. Façon possible de déjouer la recherche répétée des carrelages froids comme seule base rassurante ? Manière de mettre en mouvement ce dont rien ne peut être révélé ni entendu ? Mauricio Garcia précise que « ce que vous ne pouvez entendre » a été signifié en espagnol par le verbe « escuchar » dans le sens de l’écoute analytique et non par le verbe « entender » qui signifie comprendre.

Quelqu’un d’autre se demande si la constitution distincte d’un sujet et d’un objet est déjà faite. Ce qui se montre dans les mouvements et les gestes corporels de l’analysant, ne relèverait-il pas aussi du registre archaïque ? Certes, il est important que le billet donné soit neuf, aseptique mais ne peut-il pas être aussi, dans un moment instantané, lien tendu entre les deux protagonistes, reliés comme par un cordon ? Dans les échanges circulent que les choses paraissent comme chevillées au corps. Les espaces physiques sont décrits comme des entre-deux voilés, partiellement ouverts ou fermés. L’analysant qualifie lui-même l’indicible et l’inaudible comme au-delà de l’inhibition. La sexualité féminine, la mère en tant que corps de sexe féminin est introduite dans les débats. La chaîne rompue ne pourrait-elle pas être entendue aussi comme la trame dont l’ensemble des fils passant par la chaîne aurait  subi une déchirure ? Déjà dans son introduction à l’atelier, Mauricio Garcia posait l’énigme de la nécessité très explicite pour l‘analysant de ne rien savoir de son analyste. Que celui-ci soit et reste pour lui un inconnu, connu comme inconnu. Cela ne relève-t-il pas de la sphère matricielle se demande une participante? Les propos de Bracha Ettinger lors des journées de l’Ecole en juin dernier, reviennent en mémoire. N’est-ce pas aussi de la nécessité et de la difficulté ‘d’accordement et de différenciation dans une liaison-de-bord entre un Je et un non-Je’ dont il est question dans la demande d’être de l’« équipe » ? Pourquoi l’événement-rencontre avec l’ami qui insuffle l’attitude physique adéquate, est-il si apaisant? Quelle douleur est (re)vécue dans la confrontation à la brusque disparition du père alors qu’il était relié à lui? Freud écrit dans « Le moi et le ça » qu’il ’serait plus prudent de dire : avec les parents, car père et mère, avant la connaissance sûre de la différence des sexes, du manque de pénis, ne se voient pas attribuer valeur distincte.1

Au fil des échanges une dimension non configurée du continent obscur semble se faire entendre. Quelque chose ayant un lien avec la féminité, avec la maternité sort peu à peu de l’ombre. D’où vient la peur, la pensée magique qu’une femme soit enceinte ? La violence prononcée à l’égard du corps de la femme malade en sa génitalité ? L’occasion est donnée d’approfondir la manière d’aller à la rencontre du champ de l’impensé et de l’irreprésentable : par l’invitation à laisser venir les images sensorielles qui peuvent surgir, par l’utilisation de ce qui se présente au gré du hasard extérieur venant s’offrir à cette écoute-là, par la recherche du forclos du féminin. Une question sur la position féminine dans laquelle se mettrait l’analysant par rapport à l’analyste ouvre le champ des dimensions déjà répertoriées. L’élaboration en commun continue de s’enrichir d’apports multiples. Dans le contre-transfert  y aurait-il protection du père? Quelle est la teneur des fantasmes de l’analysant? La question centrale ne serait-elle pas: d’où je viens ? Combien est prégnante et menaçante la dimension du regard, persécutrice l’intrusion du fait d’être vu, effrayante l’ouverture comme un œil donnant à voir le dedans….

Anne Verougstraete

Hélécine, 27 février 2010 – La rencontre avec Mauricio Garcia – Trace 2

par Paul Hentgen

Ce 27 février 2010, lors de la journée clinique d’Hélécine, Mauricio Garcia nous a présenté avec beaucoup de finesse les fragments d’une analyse d’un jeune homme qui fut initialement motivée par des symptômes obsessionnels. Le style de présentation à la fois intelligent et humble n’a pas manqué de nous mettre toutes et tous au travail, ceci jusqu’à la table conviviale qui nous réunissait par après. L’idée de continuer le mouvement d’une conférence ou d’un séminaire dans l’après-coup de la rencontre, et de reformuler certaines questions sous forme de « traces », me paraît très intéressante, puisqu’il ne s’agirait pour une fois pas, comme cela peut être le cas dans d’autres contextes, de viser la traçabilité d’un acte de soin ni la formalisation d’un discours plein, mais plutôt de faire circuler des questions, des associations ou des bribes de textes susceptibles de faire lien et d’inspirer la créativité et le travail de chacun(e). Parmi toute une série de questions et de réflexions pertinentes que d’autres collègues prendront sans doute le soin de reprendre (la question de la mère, de l’archaïque, de l’injonction incestueuse, de la féminité, de la violence, du viol et du voile, de la folie, etc.), je voudrais pointer l’une des formulations de l’analysant qui dans mon souvenir est la suivante : « Je ne peux pas le dire, je n’ai pas les mots pour le dire, et par ailleurs, vous ne pouvez pas l’entendre ». Beaucoup d’hypothèses ont été proposées et même élaborées ensemble à propos de ce que l’analysant « ne peut pas dire » et de ce que l’analyste « ne peut pas entendre », que ce soit un indicible, un innommable, un impensable (sinon même du non fantasmable ou du non symbolisable, ou pour le moins du non encore symbolisé !?). Ces hypothèses se sont rapportées tant à la problématique, notamment identitaire, existentielle, quoique reprise dans celle de la sexualité, dans laquelle l’analysant semble être pris qu’au déploiement de celle-ci dans la relation tranféro-contre-transférentielle où paraît se rejouer ce que le père ne pouvait pas entendre, empêcher (l’abus, la chute…), pas plus que reconnaître, soutenir, instituer, affilier, etc. (figure d’un père « qui ne signifie rien », qui laisse tomber, qui est humilié, qui se dérobe, auquel il n’est pas possible de faire appel ni de s’identifier autrement que par la négativité…). La massivité de ce processus n’a pas été sans interpeller l’analyste au-delà des hypothèses se portant sur le contenu des associations, si je puis dire. Plutôt que d’aller plus loin dans l’évocation de ces associations et hypothèses, j’aimerais brièvement relever la formulation dans la langue originale que Mauricio nous a livrée par après : « No puede escuchar ». « Escuchar » signifie « écouter », tandis que la traduction française au sens d’« entendre » renvoie en espagnol non seulement à « escuchar » (l’expression « se faire entendre » est traduite par « hacerse escuchar »), mais également à « entender » qui veut dire autant « entendre » que « comprendre » voire encore « connaître » (Mauricio pourra évidemment mieux ventiler ces considérations linguistiques que je ne suis à même de le faire ; il a indiqué que « poder » pour « pouvoir » ne signifierait a priori pas « permettre » ou « autoriser »). La traduction de « no puede escuchar » par « vous ne pouvez pas (l’)écouter » aurait pour Mauricio (à bien l’avoir écouté, entendu, compris…) en effet l’avantage d’évoquer plus fortement encore le caractère excessivement massif de ce qui ne pourrait même pas être porté à l’oreille de l’analyste, ceci sans préjudice d’une postulée impossibilité d’un entendement par l’analyste d’un indicible. La notion d’« écoute psychanalytique » est par ailleurs traduite en espagnol par « escucha psicoanalítica ». « Escuchar » peut enfin prendre le sens d’« écouter » ou encore celui de « guetter » (ou alors évoquer les deux à la fois, ce qui dans le cas d’un fantasme ou d’une angoisse d’intrusion ne va certainement pas favoriser qu’un indicible puisse circuler autrement que sous une forme, précisément, indicible). L’hypothèse d’un indicible radical, d’un pulsionnel brut ou délié (qui ne serait pas une inhibition), qui achopperait à la représentation, à une mise en forme, soulève pour l’analyste la question plus proprement analytique de néanmoins postuler un pulsionnel en quête d’une telle mise en forme (plutôt que son impossibilité de structure) et partant celle du processus sur lequel il pourrait s’appuyer pour en favoriser la mobilisation (« produire de la représentation par défaut de pouvoir aller la chercher »). Une telle mise en mouvement pourrait notamment se fonder sur la construction d’une image comme étant la représentation la plus proche du pulsionnel, ou encore sur une lecture de ce qui émerge, lorsque l’analyste se saisit de l’imprévu, autrement dit sur un essai de transformation d’un incident qui « ne signifie rien » ou alors « comme s’il n’y avait rien » ou encore « comme si de rien n’était », en un événement associé à une possible représentation signifiante, susceptible d’amener le sujet à s’écrire ou à s’inscrire plus qu’il n’arriverait à s’énoncer. Dans le cas présenté se pose en outre la délicate question pour l’analyste à partir de sa propre fantasmatisation flottante dans la relation contre-transférentielle du « coup de pouce » (les associations avaient évoqué le « sale coup », le « bon coup », le « coup de poing »…) qu’il pourrait être amené à donner à l’analysant et qui ne serait pas entendu comme une injonction ou vécu, précisément, comme une intrusion. Cette question se pose aussi sur toile de fond de la problématique masculinité-féminité, convoquant là encore celle du lien au père, lorsque l’appel à être reconnu comme un homme ne renvoie pas moins à une invitation à être traité comme efféminé, fragile, alors qu’il s’agit pour l’analyste de « ne pas y aller de trop » pour ne pas faire basculer la remémoration de l’analysant « tu es à moi » en un « tu m’as eu comme femme » (je ne vais pas en dire davantage ici par discrétion quant à la situation concrète). On a par ailleurs pu penser que l’analyste est probablement mis dans une position qui évoque la place du père qui garderait somme toute l’analysant de la psychose. D’un point de vue méthodologique et éthique, outre le souci évoqué ci-dessus relatif à la discrétion (qui m’a fait renoncer à rapporter davantage d’éléments clés de ce qu’on pourrait qualifier de « récit biographique »), je me demande comment rédiger une contribution personnelle aux « traces », si d’un côté je ne veux pas m’approprier les apports des collègues en omettant de les citer plus explicitement et si d’un autre côté je ne veux pas non plus attribuer des reformulations maladroites à des collègues alors que celles-ci ou ceux-ci le cas échéant ne s’y retrouveraient pas. Il me reste donc à assumer ces quelques fragments de reconstruction et élaborations d’après-coup sous la forme qui m’est venue le soir même de la présentation. Merci d’avance pour vos échos, commentaires et suggestions d’amélioration. Je souhaite à Mauricio Garcia beaucoup de succès dans sa mission tellement importante de contribuer à représenter le discours psychanalytique dans les milieux universitaires et je lui réitère ma sympathie en ces jours où des nouvelles aussi tragiques nous arrivent malheureusement de son beau pays d’origine.

Paul Hentgen