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Christiane Poncelet - Mon expérience à l’Inter-Associatif Européen de Psychanalyse

iaef400Cette nouvelle rubrique inaugurée par Lina Balestriere me donne l’opportunité de transmettre à mes collègues de l’EBP-BSP ce qui m’apparait avoir été l’essentiel, à mes yeux, dans le travail auquel j’ai participé à la Coordination de l’Inter Associatif Européen de Psychanalyse. Je rappelle que cette coordination se réunit à Paris, 4 fois par an, dans un week-end (samedi toute la journée, dimanche matin).

Cette coordination est avant tout un champ de rencontres entre les délégués de toutes les associations
–    rencontres avec d’autres analystes: des français principalement, formés à l’Ecole Freudienne de Paris et ayant, pour certains participé activement à la vie de cette école par leur publications personnelles ou dans la revue « Les Lettres de L’Ecole ». Mais il y avait aussi des analystes danois, italiens, espagnols, luxembourgeois, belges (représentants des écoles dissidentes de l’EBP ou créées après la dissolution de l’EFP).
De cette diversité des nationalités émanaient des échanges nouveaux, souvent peu formels et très vivants. La situation permettait de faire vraiment l’expérience de l’hétérogène : rapports multiples à la psychanalyse, intérêts divers,  manières très différentes de faire groupe, soit par la taille, les préoccupations, l’orientation, l’esprit. Toute chose capable de produire un renouveau, une sorte de ressourcement dans le débat de la psychanalyse.
–    rencontres de manières de débattre différentes et variées, une certaine rhétorique, très française ou même parisienne, ne faisait plus l’unanimité, et laissait la place à des interpellations neuves
–    et surtout le plus important: rencontres que l’on peut qualifier de « transferts », multiples, croisés et très diversifiés.

La première tâche à laquelle s’est attelée cette coordination est celle de la conception de ses Statuts. Il s’agit là d’un très long travail d’élaboration, pour que ces statuts soient les plus en harmonie possible, les plus homogènes avec l’objet de ces réunions: la psychanalyse. Si ces débats, repris à chaque coordination ont pu paraître fastidieux à certains moments ils ont permis d’ouvrir un espace de parole très spécifique: un dispositif de travail propre à créer une circulation de la parole, très « associative » et propre à mettre en travail le rapport à la psychanalyse, mais aussi de façon plus subtil, le rapport des psychanalystes entre eux dans le décours de ce travail.
La première phrase de ces statuts rend bien compte de l’orientation, de l’esprit, et du sens de ce projet inter-associatif; il me parait donc important de la retranscrire pour revenir aux sources de ce projet.

« L’inter-Associatif Européen de Psychanalyse reçoit l’inscription des associations psychanalytiques qui souhaitent promouvoir l’étude de leur fonction dans la formation du psychanalyste, notamment dans la distinction des rapports singuliers de chacune d’entre elles à l’œuvre de Freud et à l’enseignement de Lacan, pour apprendre de leur partenariat de travail les raisons d’une politique pour la psychanalyse. »

La rédaction de ces statuts a été faite dans une optique de réduire, autant que faire se peut, les rapports de pouvoir. Chacun avait droit à la parole en tant que « délégué » par son association à participer à l’inter-associatif. Chaque association ayant une voix pour les votes, quel que soit le nombre d’inscrits à cette association.
Le respect rigoureux de « ces règles du jeu » a suscité un type d’engagement intéressant, de la confiance des uns  vis-à-vis des autres et a permis de créer des liens nouveaux.
Les thèmes de discussion émanent du travail de chaque coordination et sont rappelés par le secrétariat (tournant entre les différentes associations) lors de la convocation à chaque coordination.
Enfin, deux « séminaires » par an sont organisés par une association à partir des questions ou des difficultés qui sont les siennes à ce moment-là.
Un séminaire, organisé de façon à éviter le style colloque; travail par petits groupes, la parole attribuée par tirage au sort pour un premier intervenant qui a la charge, non pas de faire un exposé, mais seulement de problématiser une question autour de laquelle un débat peut démarrer entre les participants, le but étant de favoriser l’échange et non la confirmation d’un savoir convenu. Il s’agit là d’une réelle entame, difficilement vécue par les analystes habitués à des discours et au savoir.
Ceci explique que peu de séminaires se sont déroulés de cette façon, la résistance étant fort grande pour ce type de « challenge ». Les danois cependant sont parvenus à s’imposer et à imposer ces exigences y ajoutant le plurilinguisme de leur association. Malgré la réussite de cette formule, l’évitement de ces propositions est revenu, et d’aucuns pensent que c’est dommageable.
Ces considérations ne sont certes pas exhaustives, elles me semblent suffisantes pour faire entendre ce que le dispositif, conçu à l’origine par l’Inter-Associatif, contenait de propositions exigeantes susceptibles de le rendre le plus proche du travail analytique, et de nature à générer des échanges nouveaux.

Il me semble que des effets intéressants ont découlé de ce type d’échanges somme toute assez gratuit, puisqu’il ne débouche sur aucune décision pratique, aucun pouvoir de décision dans la réalité n’est à attendre. Globalement, il recentre l’attention principalement sur le pouvoir de la parole, la nôtre et celle des autres, sur notre présence, activement silencieuse, ou activement « parlante » dans le débat d’idées, ou dans le recadrage de la parole. Cette dimension là m’est apparue comme la plus importante, la plus éclairante sur les différents fonctionnements des analystes et par cela même la plus formatrice.
Bien des auteurs ont parlé de la difficulté des institutions psychanalytiques à ne pas occulter  ce qui se passe d’inconscient dans la vie de l’institution et qui peut avoir des incidences néfastes sur la formation des analystes.
Il me semble que le projet inter-associatif, tel que j’ai eu la chance de l’expérimenter pourrait venir se concrétiser là. Il porte une très grande attention analytique (non pas au sens d’interpréter ou d’être l’herméneute de l’autre) mais au sens de l’écoute analytique que l’on peut développer les uns vis-à-vis des autres, dans un travail de réflexion et d’élaboration de nos responsabilités d’analystes au sein de nos institutions, au sein de nos débats entre analystes. Ecouter, c’est-à-dire respecter la parole de chacun en lui donnant le temps d’aller au bout de ce qu’il a à dire et d’être entendu.
Personnellement, ce travail m’a vraiment intéressée par l’apport tout à fait spécifique que j’y ai trouvé.
L’expérience rigoureuse de cette innovation rend plus libre la pensée, et plus sensible la réalité d’un inter-associatif.
Sans aucun doute cette vision exige un certain travail sur l’ego… mais le gain en liberté pour penser la clinique, penser la théorie me semble tout à fait appréciable !

La diversité des styles de présence, des modes d’approches dans le travail de la coordination m’a semblée particulièrement riche et féconde quand les italiens, les espagnols et les danois étaient présents, mais avec leur départ successif quelque chose a changé : moins d’élaboration, plus de répétitions. Plus de tensions dues aux débats franco-français ou au manque de compréhension des enjeux spécifiques à ce type de dispositif qui exige de re-contextualiser sans cesse ce qui s’y passe.
Trop d’insistance sur la réalité extérieure à la coordination en ce qui concerne « la situation sociale et politique » a détourné l’attention du travail de l’inter tout à fait spécifique à la coordination vers d’autres enjeux.

Le rôle des délégués serait moins un rôle de représentation que de participation à l’élaboration d’un travail collectif à répercuter dans chacune des institutions. Mais sur ce point précis les délégués dans leur ensemble ont souvent manifesté leur difficulté à concerner et à intéresser leur association et ses responsables.
La conviction d’apprendre quelque chose de neuf et d’original a permis de ne pas se laisser décourager devant cet état de chose.

A force d’assister, plutôt que participer, à des débats parfois envahis par ceux et celles qui avaient une longue pratique des discussions telles qu’elles se passaient à l’EFP au temps de Lacan, j’en suis venue progressivement à entendre un peu autrement et à différencier deux styles de parole… il y avait « la parole parlante » qui transmet quelque chose d’une position subjective intéressante, neuve, libre c’est-à-dire libre de toute aliénation au discours, aux formules lacaniennes, libre de toute allégeance et puis la « parole érigée »en une rhétorique très conceptuelle, très lacanisante, très pointue et sophistiquée. Petit à petit cette chose là s’est dégonflée et a laissé une ouverture à une toute autre compréhension de ce dont il s’agissait. C’est une découverte intérieure, parce qu’on réalise que la »parole parlante » est tellement plus vivante, qu’elle laisse de la place à une singularité au travail, à la recherche d’élaboration personnelle des questions tant cliniques, que théoriques. Cela a un très grand pouvoir mobilisateur.
Cette expérience m’a beaucoup servi dans les lectures mais aussi très concrètement dans la façon de travailler en séminaire. Ouvrir un espace de parole et d’écoute pour chacun des participants rend très sensible cet apport de la dimension de « l’inter ».

Cette différenciation des paroles qui circulent amène à parler de la violence toujours prête à surgir, mais cela c’est une autre histoire.

La situation actuelle de l’Inter-Associatif Européen de Psychanalyse où il ne reste que des français (13 associations) et des belges (une association gantoise, l’EBP-BSP, Le Questionnement et Acte Psychanalytique), pose un réel problème.
Peut être est-ce cette situation qui m’a poussée à laisser une Trace de ce que fut un temps cette intéressante initiative dans le champ psychanalytique.

L’initiative de Karel Lambers de former dans l’école un cartel Inter-associatif permet de
poursuivre au sein de notre association l’expérience commencée à Paris.

Christiane Poncelet