(Exposé pour le 50ième anniversaire de l’École belge de psychanalyse – Mai 2015)
Comme beaucoup d’entre vous, j’ai été en analyse pendant des années ; et cela fait autant d’années que je chemine avec la psychanalyse, aussi bien dans le cadre d’entretiens individuels à Leuven que dans le travail à la « Traversière », une communauté thérapeutique à Nivelles, qui accueille surtout des personnes psychotiques en se référant à la psychothérapie institutionnelle. C’est suite à un stage effectué à la Borde (France) et à des séminaires szondiens avec Jacques Schotte à Louvain-la-Neuve, que Oury, Szondi et Schotte sont devenus pour moi des références à côté de Freud. Il y a dix ans, je me sentais de plus en plus frustré de devoir à chaque fois réexpliquer qui est Szondi, ce qu’est la psychothérapie institutionnelle. De la même manière, et particulièrement en Flandre, le mot psychanalyse ne suscitait que rarement des réactions enthousiastes, tant chez les collègues que chez les patients. Par nécessité de me donner une update et de me relier aux collègues néerlandophones, j’ai éprouvé le besoin d’une nouvelle formation.
J’ai par hasard rencontré la méthode du EMDR et j’ai commencé la formation. Je me suis senti étranger par rapport aux autres participants mais aussi parmi les amis psychanalystes à qui je n’osais pas trop en parler. J’ai malgré tout terminé cette formation et je continue à utiliser régulièrement le EMDR. Ce qui me motive, c’est la vitesse à laquelle les patients disent spontanément : « C’est terminé, je me sens comme avant, j’ai grandi ». C’est le cas de ce jeune homme qui consulte après une rupture amoureuse qu’il n’arrivait pas à digérer ; après plusieurs séances difficiles, il se visualise spontanément dans un trou, tendant la main pour recevoir de l’aide, tout en se voyant en même temps hors du trou, comme dédoublé, se tirant lui-même. Tout d’un coup, toute tension avait disparu. C’est aussi le cas d’un homme plus âgé qui, après avoir traité une histoire familiale fort compliquée, dit : « Je sens que c’est passé, je l’ai traversé. C’est triste que les choses se soient passées ainsi, mais à présent je me suis entouré de gens ouverts et positifs. Le passé c’est le passé ». Ce soulagement, le changement que les patients ressentent est souvent très net et même physiquement visible dans leur posture, leur visage. Et ce changement perdure à plus long terme. C’est ce que les collègues et les patients ont du mal à croire.
Brièvement, la méthode du EMDR, Eye Mouvement Desensitisation and Reprocessing, se déroule habituellement comme suit : nous partons de ce que la personne vit comme difficile, pénible. Ce peut être une plainte explicite, mais aussi une sensation corporelle dérangeante. On laisse la personne évoquer le passé en associant librement à partir d’une émotion ou de pensées provoquées par ce qui est pénible. On prend comme situation de départ une des expériences chargées du passé sur laquelle la personne s’arrête et, à partir d’un petit protocole, on travaille là-dessus avec les mouvements oculaires : on demande de suivre nos doigts de gauche à droite avec les yeux, ou on tapote sur les genoux. C’est le moment le plus mobilisateur, le moment à partir duquel le thérapeute n’intervient plus au niveau du contenu mais se contente de soutenir le processus, fait d’associations libres, jusqu’au moment de la disparition de la charge du début. Pendant ce processus, on dit simplement : « Laissez venir ce qui vient, laissez se dérouler ce qui se déroule, ne soyez pas trop critique ». Cela fait penser à Freud qui demandait aux analysants de laisser libre cours aux pensées. Le thérapeute favorise une acceptation sans jugement de ce qui vient et aide le patient à vivre ce déroulement associatif et à y rester connecté. Après une minute ou deux de mouvements des yeux, en fonction du processus, la personne est invitée à dire brièvement ce qu’elle a vécu, simplement pour qu’on soit informé du processus. La différence avec la règle de base de l’analyse, c’est que les associations ne doivent pas être verbalisées. Ceci est laissé à la liberté du patient.
Bien que cette méthode ait surtout été développée par les cognitivo-comportementalistes, il semble que toutes les orientations thérapeutiques se reconnaissent, en essence, dans cette méthode. C’est le processus d’association libre qui est au centre du EMDR. D’abord pour choisir le point de départ, mais aussi pour le processus même : on demande de laisser venir ce qui vient. Des souvenirs d’enfance, l’inconscient, la prise de conscience, la catharsis, les abréactions et la symbolisation sont donc essentiels. Il n’est dès lors pas étonnant que l’EMDR puisse aussi prendre comme point de départ un rêve, ou que l’on remarque une importante production de matériel onirique au cours de la période de travail avec le EMDR.
En tant que thérapeute, on accompagne le processus, on se tait et on constate que chaque processus est personnel, parfois très verbal, narratif, dans d’autres cas il est plus imagé ou même plus corporel, sensoriel et émotionnel. Tout à coup avoir froid, avoir les jambes qui commencent à trembler, ou encore pleurer, se fâcher, rire. C’est fascinant de voir par quels chemins associatifs passent les personnes, restant parfois à la surface, d’autres voyageant d’une période à l’autre, souvent avec des souvenirs oubliés très chargés, datant de temps anciens, des contenus inconscients vécus comme surprenants, des souvenirs écran qui tout d’un coup se brisent : « Pourquoi dois-je penser à cet événement justement maintenant, je ne comprends pas ». « Est-ce que j’ai vraiment vécu cela ? » Des renversements spontanés tels que : « Je n’aurais jamais pensé que mon stress était en lien avec la colère envers mon père, je dois en rire à présent ». Après avoir été abusée par son père des années durant, quelqu’un dit : « C’est ok maintenant, c’était abject ce qu’il a fait, mais à présent cela ne doit plus détruire ma vie. Il ne peut plus m’atteindre maintenant ». Je dois humblement reconnaître que pendant ce travail mes associations et mes constructions suivent souvent des directions complètement différentes de celles du patient.
Uniquement si les associations restent longuement bloquées, le thérapeute intervient pour faire redémarrer le processus. L’accent est mis sur le travail processuel et la résistance est dépassée par des interventions actives, soutenantes. Non par des interprétations, mais par des interventions, au bon moment, qui soutiennent le processus interne de changement. Ce principe processuel actif est unique, souvent très original, créatif, parfois très imagé : « Je me sens comme un papillon qui sort de sa chrysalide ». Ou très physique : « J’ai l’impression très bizarre que je suis en train de grandir, je me sens de plus en plus droit dans le fauteuil ». Récemment encore, quelqu’un me regarde, surpris, et me demande en riant : « Ce n’est pas possible ? ». « Qu’est-ce qui n’est pas possible ? ». « C’est terminé. C’est du passé, ce n’est pas possible, aussi vite ? » Bien sûr, je reste sainement sceptique, bien sûr je pense en arrière-fond qu’il a probablement encore beaucoup de pulsions refoulées et cachées qui restent actives. Et je ne me contente pas que du symptôme. Mais quand les gens me disent qu’ils se sentent mieux, qu’ils sont soulagés et qu’ils savent à nouveau prendre plaisir à la vie, je m’incline.
La méthode du EMDR est très mobilisatrice. Bien qu’il faille sans doute encore beaucoup de recherches pour comprendre ce qui se passe vraiment, y compris pour les indications, nous ne pouvons pas ne pas voir que, même dans des pathologies très lourdes comme dans la psychose, la rapidité et la solidité du processus est remarquable. Il y a plusieurs hypothèses qui circulent mais, au sein du champ du EMDR, on a l’honnêteté et la sincérité de reconnaître qu’on ne comprend pas encore ce qui se passe. Moi-même je suis enthousiaste pour relire Freud, Ferenczi, Laplanche et d’autres à partir de cette perspective. J’ai personnellement l’impression que là où la pulsion de mort induit une grande passivité, s’ouvre activement une opportunité à pouvoir à nouveau élaborer. On n’interprète pas indéfiniment les résistances mais pour initier un processus et le clôturer, on soutient la personne avec tact et empathie, de façon dynamique. Comme si la pulsion de mort était à nouveau liée, la détresse, l’impuissance et la passivité se transforment en activité, en puissance et en moyen d’action sur l’excitation. En accusant à nouveau réception, pour devenir auteur de sa propre vie : « Cela fait des années que ma vie est déterminée par cette (presque) noyade. Maintenant c’est derrière moi, je m’en rappelle, mais cela ne me touche plus ».
Depuis ma pratique du EMDR, j’éprouve à nouveau un grand enthousiasme, une envie de découvrir d’autres champs. Comme à l’époque où, dans notre communauté thérapeutique pour des personnes psychotiques, nous avions débuté un atelier de soins et que nous avions dépassé l’interdit de toucher les personnes psychotiques. Autour du EMDR je pensais entendre : attention de ne pas être trop actif, suggestif ou trop occupé par le trauma en soi. Je garde cela en tête, mais je ressens une autre façon d’écouter les gens, en donnant plus d’attention au trauma, en étant plus actif et en restant attentif au transfert. J’ai l’impression de prendre le chemin de Freud mais à l’envers. Il avait tout fait : le travail sur le trauma, l’hypnose et la catharsis, l’imposition des mains, se laisser regarder par les patients, et il l’a abandonné. En faisant du EMDR je suis plus en contact avec le trauma. Pas seulement en l’entendant raconter, mais aussi en le sentant réellement, en le vivant. Là où, précédemment, quelqu’un racontait qu’il avait été abusé, je vibre maintenant en lien avec l’impuissance de la situation revécue comme actuelle, et je ressens la pétrification liée à : « Est-ce possible que je vive ça ? »
Pour moi comme pour Freud, la thérapie analytique et l’analyse ne sont pas des pôles opposés. En ce sens je reste très curieux d’entendre les expériences d’autres analystes qui utilisent le EMDR pour entendre quand et comment ils intègrent cela. Beaucoup de patients qui ont été en analyse précédemment et qui en sont très contents, viennent demander du EMDR parce qu’il leur reste des thématiques non encore résolues. Quand on y travaille, ils sont surpris de la vitesse à laquelle cela se résout mais aussi de la durabilité du changement. Je constate que le fait d’avoir l’expérience d’une analyse personnelle, d’associer, facilite le travail avec le EMDR.
Ce qui fait de moi un psychanalyste, c’est mon analyse personnelle qui a été pour moi l’expérience la plus centrale dans ma vie et dans mes choix de vie. Cette expérience reste en moi un processus interne vivant, à partir duquel j’utilise aussi la méthode du EMDR. La rencontre est essentielle. La méthode du EMDR n’est pas un but en soi, mais un outil qui, généralement mais pas toujours, remet efficacement les gens en mouvement. Son utilisation est-elle dès lors sans problèmes ? Bien sûr que non, au contraire, elle soulève beaucoup de questions. Comme par exemple : comment pouvons-nous comprendre ce mouvement spontané pour arriver à une solution personnelle ? Ou qu’est ce moment d’intégration ? Et encore bien d’autres questions que nous pourrons, je l’espère, examiner ensemble par la suite.
** Traduit du néerlandais par Freek Dhooghe et Ria Walgraffe.